Crash à Hollywood

L'été est, traditionnellement, l'époque de l'année où la machine cinématographique américaine sort des blockbusters dont, seule elle, semble détenir le secret. Le cru 2013 s’annonce d'ailleurs prometteur. Ainsi, depuis quelques semaines, plusieurs grosses productions ont déferlé successivement sur nos écrans, Man of Steel, After Earth, Oblivion, White House Down et The Lone Ranger [1]. Et ce n'est que le début, puisque d'autres ne tarderont pas à suivre [2].

Alors, me direz-vous, quel est le point commun entre ces films ? Outre qu'elles réunissent toutes des acteurs connus, ces productions ont rencontré des échecs cinglants auprès du public américain, notamment [3]. A dire vrai, ce n'est pas la première fois que ces films, pour la plupart bourrés d'effets spéciaux, subissent la loi des spectateurs qui fuient les salles où ils sont projetés. Des exemples célèbres parsèment l’histoire du cinéma récent. On peut, par exemple, citer Waterworld [4] avec Kevin Costner, qui fut en son temps le film le plus cher de l'histoire et mit quasiment en faillite son réalisateur.

Non, là ce qui est nouveau, c'est que ce phénomène se produit sur une période de quelques semaines seulement. Et si on ajoute à cela le fait que deux de ces films mettent en scène des acteurs plutôt appréciés du public et qui par le passé ont fait les beaux jours des studios [5], vous arrivez rapidement à la conclusion que l'on s'affole un peu chez les responsables des Majors. Même si ces films arrivent à amasser plusieurs millions de recettes, la plupart du temps, elles ne sont pas suffisantes pour pouvoir envisager de rentabiliser l'investissement, à savoir, produire d'autres films dans l'avenir sans y regarder à deux fois [6]. Et il semblerait que des difficultés de financement se multiplient dans les temps à venir, du moins selon les dires de deux gourous du cinéma : Steven Spielberg et George Lucas.

Mauvais augures


Il y a quelques temps, les deux hommes étaient réunis à l'université de Californie du Sud pour y donner une conférence [7]. C'est dans cette université qu'ils s'étaient rencontrés en 1967. De leur collaboration sont nées des sagas aussi spectaculaires que Star Wars ou Indiana Jones [8], qui au moment de leur sortie ont atteint les sommets du box office, et qui aujourd'hui ont acquis le rang de films cultes.

A l’occasion de cette rencontre, le réalisateur de Lincoln prédisait que des échecs répétés de plusieurs grosses productions - aujourd'hui certains films requièrent des budgets de l'ordre de 250 à 300 millions de dollars [9] - pourraient mettre à mal l'industrie cinématographique américaine. Pour lui, les spectateurs finiront par déserter les salles obscures, lassés par des films dont la seule motivation reste le box-office et non la volonté de divertir.

Et force est de constater que Spielberg semble avoir vu juste. Les films que j'ai cités au début de cet article, ont pratiquement tous été égratignés par la critique sur ce point : la qualité. Les journalistes ont pointé du doigt la faiblesse des scénarios et des dialogues, le piètre jeu de certains acteurs, une mauvaise réalisation, une photographie parkinsonienne,... Tous ces éléments, combinés ensemble, donnent à ces réalisations un caractère bâclé et répétitif qui nuisent à leur succès auprès de foules.

L'autre oracle, George Lucas poursuivait le raisonnement de son camarade en expliquant qu'il voyait, à moyen terme, la réduction du nombre de salles de cinéma et une augmentation des tarifs d'entrée, qui pourraient, selon lui, atteindre le prix de certains spectacles de Broadway. Triste présage pour les cinéphiles.

Adaptation du marché


Le spectateur est donc le juge ultime, celui qui couronne de lauriers ou couvre de honte s'il ne reçoit pas ce qu'il est venu chercher. Dans le cas du cinéma, les individus veulent un divertissement. Mais pas à n'importe quel prix. Or, les tarifs dans les salles sont de plus en plus élevés, pour compenser en partie la modernisation des équipements [10]. De mon point de vue, cette hausse serait acceptable si le résultat était à la hauteur de l'espérance. Or si on prend l'exemple de la 3D, les gens vous diront qu'elle n'apporte pas grand chose au film, que l'on peut très bien s'en passer [11]. L'une des causes de ce désamour provient que la majorité des films ne sont pas tournés en 3D : ils subissent juste une conversion de l'image lors de la post-production. Et cela ne vaut pas que l'on dépense 5 à 10 dollars supplémentaires [12].

Outre cette augmentation des prix, les gens sont de plus en plus séduits par d'autres formes de productions filmées. On voit en effet que certains projets destinés à la diffusion par Internet - on citera la série House of Cards [13] - rencontre un succès de plus en plus important auprès du public. Pour un coup modéré [14], les abonnés peuvent avoir accès à des divertissements de qualité. Acteurs, réalisateurs et scénaristes du monde du cinéma font de plus en plus souvent l'incursion dans le monde télévisuel [15]. La VOD serait donc selon certains la prochaine étape.

Demain sort ici, en Amérique du Nord, le nouveau film de Guillermo del Toro, Pacific Rim [16], pour lequel de grands espoirs de succès sont fondés. Un nouvel échec serait, à coup sûr, l'occasion pour la presse de faire ses choux gras des déboires rencontrés par le cinéma américain [17]. Réponse dimanche soir.

---
[1] Tous ces films ont des budgets excédant les 100 millions de dollars. Man of Steel détient la palme avec 225 millions.
[2] On citera par exemple le nouveau volet des aventures de Wolverine en salles le 24 juillet en France ou encore Elysium qui sort le 8 août.
[3] Comme exceptions notables on peut citer Iron Man 3 et Star Trek Into Darkness.
[4] Sorti en 1995, le film avait coûté la bagatelle de 175 millions de dollars de l'époque. il fallut attendre la sortie en vidéo pour que le film éponge ses dettes.
[5] Pour s'en convaincre, regardons les succès à mettre au profit de Will Smith et Johnny Depp.
[6] Certaines productions prennent du retard faute de financement. Et même pour des gens comme Lucas et Spielberg.
[7] Des extraits de la conférence sont à retrouver dans un article de Rue89 à ce lien.
[8] Oui, Steven Spielberg a participé à Star Wars. Regardez bien les crédits de l'épisode III...
[9] Avatar et l'adaptation de Bilbo the Hobbit par exemple.
[10] 3D et  IMAX ou les deux, IMAX 3D.
[11] Je suis moi-même le premier à aller voir ces films en "normal".
[12] Tarifs pratiqués en Amérique du Nord. Il n'est par rare de voir une place d'un film en IMAX 3D à près de 20 dollars.
[13] Disponible sur la plate-forme Netflix avant sa diffusion.
[14] 7.99 $ par mois sur le site.
[15] De Julia Roberts à Al Pacino en passant par Kevin Spacey, les plus grands y viennent alors qu'il fut un temps où cela était considéré comme "ringard".
[16] Une histoire de robots...
[17] Deux exemples : le premier du journal Le Point consultable à ce lien et le deuxième de l'hebdomadaire Paris Match que vous pouvez lire ici.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire