Une mauvaise incitation

Une catastrophe. Voilà en un mot comment on venait de résumer au président les événements qui venaient d'arriver ces dernières mois. Son principal conseiller pour l'agriculture avait compilé les dernières données disponibles et les chiffres étaient  pourtant bons - il avait vérifié trois fois. Un véritable désastre. Comment cela avait-il pu tourner ainsi ? La solution était pourtant imparable... C'était tout bonnement incompréhensible. Mais revenons un an en arrière.

Un problème aux dents longues


Le rapport qu'avait alors remis le commissaire chargé des questions agricoles était formel : pour augmenter la production de blé, et ainsi atteindre les objectifs fixés par le plan quinquennal, il fallait absolument exterminer la population de rats dans les campagnes. Leur nombre n'avait cessé d'augmenter ces dernières années et ces maudits rongeurs infestaient désormais les champs et les silos de stockage. Rien que cette saison, 25% de la récolte était parti en fumée à cause de ces animaux [1]. Les conséquences avaient été immédiates. Comme le blé était une matière première essentielle à la fabrication de l'aliment de base du pays, le pain, son prix avait flambé, presque triplé en quelques mois. Sa raréfaction avait même occasionné un début de famine dans les provinces les plus reculées. Malgré l'aide internationale dépêchée en toute hâte, des enfants ainsi que les personnes les plus fragiles étaient passés de vie à trépas et les autorités sanitaires du pays avaient dû faire face à un début d'épidémie de choléra, heureusement circonscrite à quelques villages. Le pire avait été évité de peu.

Cette succession de malchance avait malmené les finances du pays. Les moyens déployés par les autorités avaient fait exploser le budget initial de plus de 15% atteignant la somme pharaonique de 1 800 milliards de khôr soit 86% de la richesse produite par le pays annuellement [2]... Un record. 

Vite une mesure !


Les populations, frappées par cette hausse des prix, avaient manifesté leur mécontentement et demandé au gouvernement de prendre des mesures radicales. Après avoir bien réfléchi, le président et son conseiller pour l'agriculture avaient opté pour une solution audacieuse : récompenser d'un khôr tout citoyen qui rapporterait à sa préfecture de canton un rat. D'après eux, cette mesure devrait permettre d'éradiquer en quelques mois, quelques années tout au plus la menace que constituait ces rongeurs pour l'économie du pays. La récompense promise devrait encourager la population à agir dans le bon sens. Avec un peu de chance, les récoltes de l'année prochaine seront épargnés et l’objectif du plan quinquennal devrait être atteint avec un an peut-être deux de retard. Il l'avait promis à tous les dignitaires du parti lors du dernier congrès annuel en novembre. Sa place était en jeu. Un nouveau contre-temps pourrait lui coûter son poste. Il était condamné à réussir.

La nouvelle de cette décision présidentielle se propagea rapidement à travers tout le pays, notamment dans les campagnes où la population avait été le plus touchée par les récents événements. Jusqu'aux oreilles de M. Khun. Lui et son fils aîné possédait quelques arpents de terre qu'il exploitait au profit de la coopérative agricole du gouvernement. La loi leur autorisait à garder 10% de la récolte annuelle pour leur consommation personnelle et pour les semis de la prochaine saison. Une misère qui leur permettait tout juste de subsister. Cette nouvelle mesure gouvernementale semblait aller dans le bon sens : pensez donc, des rats il suffisait presque de se baisser pour les capturer tant il y en avait qui courraient dans la campagne.

Bien évidemment, M. Khun en tuait de temps en temps afin de compléter leur alimentation, mais jamais il n'avait pensé pouvoir les vendre. De tout façon qu'aurait-il pu en tirer ? L'offre du gouvernement était donc une aubaine. Un khôr pour chaque rat, cela pouvait rapporter une petite fortune et peut-être cela améliorerait-il leur quotidien difficile. Il commença donc capturer ceux de sa parcelle avec son fils.

Le tournant


L'enthousiaste soulevé par la mesure a fini par conquérir tout le pays. La chasse au rat était devenu une activité à part entière. Alors bien sûr, le gouvernement avait bien pensé engager des fonctionnaires pour faire le travail, mais il avait déjà dû embaucher du personnel pour comptabiliser les rats capturés - morts de préférence - et octroyer la précieuse récompense. Le plus jeune fils de M. Khun avait pu bénéficier de cette vague d’embauches. Il venait tout juste de finir son cursus universitaire en économie mais comme il ne trouvait pas d'emploi, l'opportunité de devenir fonctionnaire s'était vite imposée à lui comme une évidence. Et puis avec son salaire, il pourrait aider un peu sa famille, restée à la campagne.

Un mois après l'entrée en vigueur du décret présidentiel, le bureau des statistiques avait annoncé, sur la chaîne publique, que plus d'un million et demi de rats avait été ramenés aux aux préfectures. Et plus encore arrivent chaque jour. Un véritable succès selon les autorités. La coopération des paysans - et plus généralement des citoyens du pays - était si difficile à obtenir d'habitude ! Les semaines passant, le phénomène s'amplifia encore. Le président, à la vue de ces chiffres, se dit que l'opération, même si elle coûtait cher à l'état, allait être un vrai triomphe et prouver aux yeux du monde que sa politique était efficace. La prochaine récolte serait abondante et allait lui assurer de conserver son poste.

Pourtant quelque chose clochait. C'est le commissaire aux questions agricoles qui fut le premier mis au courant : on rapportait de-ci, de-là que la population de rats ne semblait pas diminuer. Les troupes de l'armée qui patrouillaient dans les coins les plus reculées - inaccessibles aux forces de police qui n'avaient pas d'équipement adéquat - constataient que des rats courraient encore dans les champs. Et cela ne semblait pas diminuer. On aurait même presque dit que cela s'aggravait... Une impression sans doute. D'ailleurs, il n'y prit pas attention.

Le pot aux roses


M. Khun était content. Cette année, tout allait pour le mieux. Il avait amassé  en quelques semaines la coquette somme de 300 khôr. Presqu'autant qu'en cultivant du matin au soir son champ pendant une année. Et il venait encore d'aller porter dix rats supplémentaires à la préfecture du canton. A cette occasion, il avait d'ailleurs pu constater que la file de gens s'était allongée depuis la semaine précédente. En fin de compte, tous ses voisins avaient participé à l'effort national. Certains d'entre eux en avaient même fait leur activité principale, délaissant leurs champs et leurs cultures. D'ailleurs, de nombreuses parcelles dans la région partaient en friche.

M. Khun, lui, n'avait pas cédé à la tentation pourtant grande d'abandonner son champ. C'était lui qui le faisait vivre depuis son enfance après tout. Son père avant lui s'en était occupé. E puis son petit dernier l'avait convaincu de continuer de cultiver son lopin de terre : son instinct - et ses connaissances - lui disait que cette mesure du gouvernement ne durerait pas. M. Khun avait donc décidé que cette activité ne serait qu'un complément à ses revenus. D'ailleurs, se disait-il, la chasse est de plus en plus facile tant la population de rats était nombreuse. Car lui aussi l'avait noté : elle ne semblait pas baisser, loin de là. M. Len, l'un des voisins de mon héros, avait - contrairement à lui - choisi de changer totalement d'activité. Au départ, il était inquiet, car il pensait que le gouvernement verrait d'un mauvais œil qu'il abandonne ses champs. Mais il semblait que les fonctionnaires chargés de la surveillance, étaient désormais affectés à la collecte des rats à la préfecture... Dans un premier temps il s'était donc mis à chasser les rats sur sa parcelle. Voyant que la population diminuait rapidement du fait de la forte demande, il eut l'idée d'en garder quelques uns dans sa petite remise. Une dizaine au départ. Bien sûr il n'y connaissait rien en rats, mais en les nourrissant convenablement, ils pourraient peut-être se reproduire... Quelques jours plus tard, les premières portées voyaient le jour... 

Rapidement, il accéléra la production. Ses maigres réserves de blé lui servaient à nourrir les rongeurs dont le nombre s'accroissait sans cesse. Rien que cette semaine, il en avait livrer plus d'une centaine à la préfecture, ravissant le commissaire local. Avec l'argent récolté, il allait se fournit au marché de la coopérative où les denrées étaient abondantes. Cependant, cette fois-ci, après avoir livré sa cargaison hebdomadaire, il remarqua que le prix des tomates et des concombres, fruits qu'il affectionnait particulièrement avaient passablement augmenté : 10 khôr la livre contre 5 la semaine précédente. Bizarre se dit-il... 

Monnaie de singe


Ce matin-là, le ministre des finances avait rendez-vous avec le président. Ce dernier lui avait fait passé une note hier en lui demandant à nouveau une rallonge de 20 millions de khôr pour l'opération du ministère de l'agriculture. La demande était telle que les préfectures cantonales avaient besoin de plus d'argent. Dès le départ, le ministre s'était montré réticent envers cette mesure. Mais bon il n'avait pas le choix.

Pour assurer la demande, les presses de la banque nationale fonctionnaient nuit et jour. A raison de 50 millions de khôr imprimés par semaine,  le cours de la monnaie dégringolait à la vitesse grand V. Déjà on parlait d'inflation et ses craintes se virent confirmer la veille quand il reçut les chiffres : + 40% sur l'alimentation, +30 % sur l'énergie ! Et ce n'était que les données du mois écoulé ! On allait tout droit à la catastrophe, il le savait, mais le président demandait toujours plus d'argent pour financer ses mesures... Une fuite en avant. Encore quelques semaines à ce rythme et il faudra des milliers de billets pour acheter une livre de carottes ou pommes de terre... Le pays et les gens seront ruinés. Le gouvernement n'aura alors d'autre choix que de dévaluer pour relancer la machine jusqu'à la prochaine fois. Cela lui rappelait, étrangement, ses cours d'économie à l'université. Il avait alors étudié la fameuse hyper-inflation de la République de Weimar. Il espérait que le président retrouverait la raison avant que l'on arrive à cette extrémité. 

Banqueroute


Le commissaire était hors de lui. Il venait de recevoir les chiffres de la production annuelle de blé. Pratiquement trois fois moins que l'année dernière ! A la longue, il s'était interrogé sur la livraison massive de rats par la population. Il avait donc demandé à l'armée d'enquêter sur le phénomène. C'était dans ses attributions. Il avait alors compris ce qui se passé :  les paysans avaient élevé des rats au lieu de cultiver leur champ. A cet instant il maudissait le gouvernement d'avoir pris cette décision. Bien sûr, dès que les premiers élevages avaient été découverts, l'armée les avait détruits. Rapidement derrière, le président mesurant la portée de l'entreprise avait abrogé le décret. Désormais les paysans ne recevraient plus rien, même s'ils pouvaient toujours ramener des rats aux préfectures de canton. De toute manière, l'argent donnée par le gouvernement ne valait plus rien. Il fallait désormais plus de 1500 khôr pour acheter le moindre petit légume. Une hausse vertigineuse et qui semblait se poursuivre sans fin.

M. Khun venait lui de livrer sa récolte de blé à la coopérative. Mais cette année, il ne pouvait en conserver que 8 %, tant la production avait été mauvaise. Au début, il avait un peu protester, mais il se disait que c'était peut-être mieux que rien. D'autres avaient tout perdu. Son voisin, par exemple, M. Len, avait été condamné à dix ans de travaux forcés. Les conditions de travail y étaient tellement dures qu'il désespérait de le revoir un jour. Son fils avait été autorisé à reprendre l'exploitation du terrain sous certaines conditions : pour les dix prochaines années, il devra fournir 95 % de sa récolte.

Le président s'apprêtait à démissionner. Il avait perdu la confiance des membres du parti. Sa disgrâce était totale. Sa dernière décision en tant que chef de l'état avait été d'affecter les fonctionnaires cantonaux à la chasse aux rats. C'était décidément le décision qu'il aurait dû prendre depuis le début. Mais l'envie de plaire au peuple avait été plus forte. Le travail avançait lentement, les fonctionnaires ne disposant pas des outils nécessaires. Le plus jeune fils de M. Khun participait à cette campagne. Il croisait de temps en temps des membres de l'aide internationale dépêchée sur place avant de venir en aide aux populations. Un de ces membres lui avait confié qu'il faudrait des années avant que le pays ne se remette sur pieds. Et encore avec de la chance...

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[1] D'après les chiffres officiels du gouvernement.
[2] Au cours actuel, 1 khôr vaut 0,00000015 euros, son plus bas niveau depuis 35 ans.

Investissement vs travail

Il semblerait que mon dernier billet [1] aient soulevé l’enthousiasme de certains. Je tiens donc à préciser ma pensée afin d'être parfaitement clair.

Mon but n'était pas de dévaloriser, de quelque manière que ce soit, le travail. Cependant, c'est par l'échange que ce travail acquiert sa valeur, du fait, par exemple, du prix des matières sur la marché comme c'était le cas dans mon billet. Dans cette situation imaginaire - car ce n'est que de l'imagination, rien de plus - je prenais le parti de considérer, qu'à quantités égales, le blé avait plus de valeur que l'avoine. Cela est vrai à un instant t, et peut tout à fait se révéler faux dans l'avenir.

Ce que je cherche avant tout à faire passer dans ce texte, c'est que c'est l'investissement et dans ce cas, le risque pris par les frères qui a, aussi, été récompensé. En plus de leur travail. Ils auraient très bien pu continuer de cultiver de l'avoine comme leurs voisins et de cette façon perpétuer l'héritage de leur père. Mais la motivation que constituait cette nouvelle aventure, quelque peu incertaine, leur a semblé valoir la peine de s'y lancer. J'ajoute aussi que cet investissement aurait très bien pu leur être défavorable : ils auraient pu tout perdre et ce malgré le travail fourni. Je ne suis pas sûr, alors, que leurs voisins les auraient plaints voire aidés. 

D'une certains manière, on pourrait dire que leur récompense a été double : d'une part par le travail et d'autre part par leur audace de tenter de cultiver une autre céréale. Si le monde n'était uniquement constitué que de personnes ne récompensant que le travail, je doute que certaines avancées auraient pu être entrevues...

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[1] Ce billet est intitulé "Le capitaliste et ses enfants" et est disponible à ce lien.

Le capitaliste et ses enfants

L'école primaire est l'occasion, pour les jeunes enfants, de découvrir les textes de la littérature - française ou étrangère. Les choix qui se présentent alors - romans, pièces de théâtre ou encore poèmes - sont nombreux. Cette dernière catégorie a souvent la faveur des professeurs qui demandent alors à leurs élèves de les apprendre par cœur, avant de devoir les réciter quelques jours plus tard devant toute la classe. Une torture pour certains [1].

Parmi les poètes les plus célèbres, le nom qui revient le plus souvent est celui de Jean La Fontaine, l'auteur des fameuses Fables [2]. Même si, le temps passant, on oublie les vers à la tonalité souvent satyrique, force est de constater que certains passages nous sont restés en mémoire, notamment les morales distillées par cet admirateur d’Ésope.

Pour parler de mon expérience personnelle, je dois avouer qu'une fable m'a particulièrement marqué : le Laboureur et ses enfants. J'en retranscris le texte original dans les lignes suivantes [3].

Travaillez, prenez de la peine :
C'est le fonds qui manque le moins.
Un riche laboureur, sentant sa mort prochaine,
Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins.
Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l'héritage
Que nous ont laissé nos parents.
Un trésor est caché dedans.
Je ne sais pas l'endroit ; mais un peu de courage
Vous le fera trouver, vous en viendrez à bout.
Remuez votre champ dès qu'on aura fait l'Oût.
Creusez, fouiller, bêchez ; ne laissez nulle place
Où la main ne passe et repasse.
Le père mort, les fils vous retournent le champ
Deçà, delà, partout ; si bien qu'au bout de l'an
Il en rapporta davantage.
D'argent, point de caché. Mais le père fut sage
De leur montrer avant sa mort
Que le travail est un trésor.

Allez savoir pourquoi, j'ai toujours voulu imaginer la suite des aventures de ces trois frères [4]. Car l'histoire nous laisse sur notre faim.

Elle ne dit pas si les fils du laboureur étaient seuls pour accomplir leur ouvrage, auquel cas, certains détracteurs pourraient dire qu'ils ont pu "exploité" de pauvres paysans pour obtenir leur fameux trésor. Quelque peu romantique, j'aime à croire que le luxe d'embaucher une aide extérieure ne leur était pas permis : ils ont donc été obligés de se mettre à l'ouvrage et de retourner la terre de leur champ en ne comptant que sur leurs propres bras et sur une simple charrue, tractée par une vieille bête de somme, elle aussi héritage de leur défunt père [5].

La motivation d'un trésor enfoui, les a poussé à ne laisser aucun morceau de terrain intact : toute parcelle devait donc être explorée afin de trouver cette fortune enfouie. Et comme le métier de leur père - et de son père avant lui - était de cultiver des céréales et quelques légumes, nul doute qu'ils en ont profité pour semer quelques graines, après avoir pris soin de labourer la terre, conformément à ce qu'ils avaient appris dans leur jeunesse. Les jours passant, la pluie et le soleil faisant leur part du travail, les fils ont pu voir éclore les premières pousses avant de récolter la précise moisson et d'en échanger une partie contre d'autres marchandises, nécessaires à leur survie.

Profitant aussi de conditions météorologiques particulièrement bonnes cette année-là, ils constatèrent que leurs récoltes étaient meilleures que les saisons précédentes et que le blé poussait mieux dans le sol que la traditionnelle avoine. Peut-être aussi que la demande en blé à ce moment était supérieure et que par conséquent les prix avaient flambé leur permettant d'ne obtenir une bénéfice plus important. Le risque, de l'un des frères, de choisir cette céréale, plus tôt dans la saison, s'était donc trouvé récompensé. Pourtant il se rappelait avoir dû bataillé ferme pour convaincre les autres du bien fondé de son intuition. Finalement l'investissement s'était révélé profitable et leurs voisins, qui avaient, comme à l'habitude, poursuivi la culture de l'avoine, s'étaient retrouvés en bien fâcheuse posture. Pour pouvoir se nourrir, ils furent obligés de vendre une partie de leurs terres. La chance sourit aux audacieux. 

Quoi qu'il en soit, les héritiers ont vu leur fortune s'accroître. Labourer leur terre, de part en part, ne leur a pas permis de trouver quelque coffret rempli de pièces d'or. Non. Cultiver ce champ leur a offert la richesse par l'effort. Et cet effort, qui comportait initialement un risque, a été récompensé, ce qui n'est que justice. Bien évidemment, certains trouveront à dire que leur fortune a été faite sur le dos de leurs clients. Que ces derniers avaient probablement besoin de blé pour faire du pain, un aliment inconditionnel à cette époque. Et le vendre plus cher, comme les fils l'ont fait, était pénalisant pour les habitants de la région. Il reste que eux aussi auraient pu faire le choix de changer de culture ou d'investir au préalable sur des germes de blé. Les inégalités créées dans cette histoire sont donc bien réelles, mais elles ne sont en aucun le fruit d'une injustice.

Avec la richesse accumulée lors de cette saison, les frères décidèrent d'investir dans la construction d'un silo d'entreposage plus grand afin de stocker le blé récolté : leur domaine ayant doublé de surface, il fallait prévoir de l'espace supplémentaire pour les saisons à venir. Ce bâtiment présentera aussi l'avantage de protéger plus efficacement les céréales contre les intempéries qui les font pourrir. Car leurs voisins, même affaiblis, ont jetés leurs dernières ressources dans le blé et ils trouveront donc de la concurrence l'année prochaine. La qualité de leur récolte pourrait alors faire la différence sur le marché. Un autre frère a aussi dans l'idée de construire, dans le futur, un moulin afin de produire de la farine dont les profits à la vente sont bien meilleurs que ceux du blé. Plusieurs boulangers de la région se sont déjà dits intéressés, surtout s'ils peuvent être fournis plus rapidement et ne pas risqués de défaut d'approvisionnement comme c'est le cas actuellement.

Ravis de cette formidable saison, les fils se rendirent sur la tombe de leur père, un an jour pour jour après sa mort. En priant pour le salut de son âme, ils en profitèrent pour le remercier pour son ultime conseil. Non, ils ne lui en voulaient pas de les avoir manipulés, voire trompés. Ils le remerciaient plutôt, le louaient même de leur avoir donné la motivation nécessaire à la poursuite de son oeuvre.

Alors pour moi, la morale de cette fable va beaucoup plus loin que le simple fait de dire que "le travail est un trésor". Elle reflète, plutôt, que sans la motivation  - qui peut être financière ou non - de faire quelque chose les individus ne seraient pas arrivés à construire la société dans laquelle nous vivons. Au lieu, donc, de blâmer les gens qui prennent des risques, nous devrions plutôt les encourager car sans leur investissement en temps et en argent, aucune richesse ne pourrait jamais voir le jour...

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[1] L'étymologie du mot "travail" est intéressante : il vient du latin "tripalium" et désigne un instrument de torture.
[2] Jean de La Fontaine (1621-1695) a écrit 243 fables réparties en douze livres.
[3] Cette fable est la neuvième du livre V.
[4] Oui, j'ai toujours cru qu'ils étaient trois...
[5] Je sais bien qu'on a dit que le père était "riche", mais imaginez ce qu'il devait rester aux fils après avoir payé les frais de succession...

L'école de l'entrepreneuriat

Fleur Pellerin, ministre déléguée au PME a aujourd'hui émis l'idée de créer une "école de l'entrepreneuriat", pour permettre dit-elle de faire découvrir le monde de l'entreprise aux catégories de la population qui en sont exclues, comprenez, les catégories populaires, les jeunes [1]...

Cette idée peut, au premier regard, paraître séduisante puisqu'il s'agit selon la jeune ministre d'aider les gens à démarrer une affaire en leur donnant des bases en comptabilité ou en droit de l'entreprise. Pourtant, selon moi, la véritable question à se poser est pourquoi avons-nous besoin d'une telle formation ? Fleur Pellerin oublie juste de nous dire que créer une entreprise en France - et a fortiori la faire durer - relève du parcours du combattant tant il existe de formalités d'obstacles réglementaires à effectuer avant de se lancer.

Alors qu'il y a quelques mois, le premier ministre Jean-Marc Ayrault nous parlait d'un choc de simplification, notamment des formalités administratives il semblerait que cette résolution du début de l'année 2013 soit déjà enterrée... Pour le plus grand malheur des milliers de patrons qui se démènent tous les jours pour faire fonctionner leurs entreprises. Cette fameuse école - dont la forme reste à déterminer - se rajoutera à l'usine à gaz déjà en place et qui emprisonne l'initiative individuelle. Un dernier exemple en date : deux jeunes femmes, souffleuses de verre dans la région de Carcassonne se sont vues redresser fiscalement à cause de comptes non conformes. Montant de l'amende : 70 000 euros sur 100 000 euros de chiffre d'affaire [2]... Autant dire que l'entreprise est condamnée. Une parmi tant d'autres... Avec ce genre de méthodes, le gouvernement n'est pas prêt de faire repartir l'activité économique du pays ni encore moins d'en inverser la courbe du chômage...

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[1] L'intégralité de l’interview de Fleur Pellerin est à retrouver sur le site du journal Le Figaro, à ce lien.
[2] Histoire relatée dans le journal Les Echos et consultable à ce lien.

Plafond trop bas, relevez !

Alors que la Maison Blanche répondait aujourd'hui aux questions des journalistes sur la crise syrienne, le Département du Trésor faisait paraître un communiqué indiquant que le plafond de la dette américaine serait atteint à la mi-octobre [1]. Nous rappelons à cette occasion que la dette américaine atteint plus de 16,5 billions de dollars et qu'elle dépasse la richesse créée par le pays en une année. [2]. Cette dette s’accroît de 10 à 20 milliards par jour en moyenne.

A n'en point douter, nous assisterons, d'ici le début de l'automne, à une nouvelle bataille au Congrès, pour savoir comment le plafond sera relevé, et surtout au prix de quelles concessions étant donné qu'aucun parti ne détient la majorité au parlement. Si on ajoute à cela les prochaines échéances électorales [3], on se doute que Démocrates et Républicains marcheront sur des œufs, jouant très certainement une grosse partie de leurs résultats aux dites élections...

La dernière fois que de telles négociations ont eu lieu, à l'été 2011, elles avaient débouché sur la mise en place de coupes budgétaires automatiques au cas où le Congrès ne se mettrait pas d'accord sur des baisses de dépenses [4]. A chaque fois, l'émergence d'un tel consensus est compliqué par les positions défendues par les deux parties : d'un côté, les Démocrates ne veulent pas de baisses des dépenses sociales pour préserver son électorat populaire et de l'autre, les Républicains rejettent les hausses d'impôts afin d'épargner les citoyens des classes privilégiées, leur fonds de commerce. Un nœud gordien en somme.

Pourtant, les membres du Congrès oublient que le retour à l'équilibre des finances publiques américaines est nécessaire si le pays veut retrouver la voie de la prospérité économique. Remonter à nouveau le plafond de la dette - comme cela a été le cas plus de cent fois depuis la naissance du pays - ne fera que repousser l'inévitable ajustement, résultat de plusieurs décennies de dérives budgétaires. Et ne nous y trompons pas, cette dette devra être remboursée d'une façon ou d'une autre [5] et c'est autant d'argent qui sera pris dans les poches des contribuables américains. Encore une fois, ce sont eux qui paieront les erreurs de leurs dirigeants...

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[1] La nouvelle est consultable sur le site du journal Le Figaro à ce lien.
[2] 16 500 milliards de dollars. Une petite somme. Le suivi, en temps réel, de ce montant est consultable à ce lien.
[3] Les élections de mi-mandat auront lieu dans un peu plus d'un an (novembre 2014). La course à l'investiture présidentielle , quant à elle, commencera dans le courant de l'année 2015.
[4] Faute d'accord, ces coupes budgétaires automatiques sont entrées en vigueur après l'investiture de Barack Obama pour un second mandat, au début de l'année 2013.
[5] Même si je doute moi-même de ce remboursement...

We want Jobs !

Ce qui est amusant avec le mot anglais "jobs" c'est qu'il renvoie à deux choses, pas si éloignées que cela d'ailleurs. D'une part, il équivaut à la traduction française du mot "emplois" et d'autre part, il est le patronyme d'un des plus célèbres entrepreneurs de ces quarante dernières années, Steve Jobs. Alors qu'un biopic lui est actuellement consacré [1], je vais m'attarder quelques instants sur le parcours de ce personnage atypique, génie pour les uns, patron tyrannique pour les autres.

Le self-made man


A l'image d'un John Rockfeller [2], Jobs constitue l'incarnation de la réussite à l'américaine, celui d'un homme parti de rien et qui a bâti l'une des plus grandes compagnies américaines, Apple Inc. [2]. Un véritable symbole pour les jeunes entrepreneurs d'aujourd'hui. Débutant dans son garage avec l'aide de quelques amis férus d'électronique [3], ce jeune homme, autodidacte et perfectionniste, a été l'un des précurseurs de la révolution de l'informatique personnelle, fixe et nomade [4]. Mieux encore, il a aussi exercé ses talents dans l'industrie du divertissement en étant le fondateur des studios d'animation Pixar [5], aujourd'hui propriété du groupe Disney.

Le plus intéressant dans cette histoire est qu'elle ne semble pas être un cas isolé. Il semblerait même qu'elle se répète. Toujours la même : celle d'un jeune universitaire, brillant, qui abandonne ses études pour poursuivre son rêve, celui de créer, sans penser un seul instant à autre chose. Non, il veut juste concrétiser une idée qu'il a eue. Une idée qu'il croit révolutionnaire, à tel point qu'elle pourrait changer le monde. Dit comme cela, cela peut paraître un peu prétentieux, voire pompeux. Et pourtant à bien y regarder de près, c'est très souvent ce qui s'est passé [6].

Du "Think Different" au "Be Cool"


Pour comprendre la réussite du modèle Apple, il faut commencer par saisir la philosophie de son fondateur. Tout d'abord, Jobs n'avait pas pour ambition de proposer un meilleur produit que ses concurrents. Bien au contraire, il préférait vendre quelque chose de différent, tant sur le plan du design que des fonctionnalités disponibles. Autrement dit, à un seul problème, Jobs pensait qu'il pouvait exister plusieurs solutions. Certaines sont originales, tandis que d'autres sont plus conventionnelles. A son retour chez Apple en 1997, cet état d'esprit se matérialisa à travers une campagne publicitaire baptisée "Think Different" [7].

Il faut ajouter à cela que Jobs était lui-même le premier utilisateur de ses créations. On comprend dès lors qu'il a toujours voulu repousser le plus loin possible leurs capacités : autonomie de fonctionnement, simplicité d'utilisation [8], interactivité, ergonomie, interface graphique intuitive, intégration optimale,... C'est très certainement ce qui lui permettait d'anticiper les attentes des clients : il se disait que si lui attendait certaines fonctionnalités, d'autres devaient faire de même. Il n'y avait dès lors plus de limites à ce que l'on pouvait créer. Lors d'un discours à l'Université Stanford en 2005 à l'occasion de la remise des diplômes, Steve Jobs résumait cette philosophie par ces quelques mots, "stay hungry, stay foolish", littéralement, "soyez insatiables, soyez fous" [9].

Pourtant, bien que séduisante au premier abord, cette manière de penser s'est heurtée à un problème de taille : le coût [10]. Et encore aujourd'hui, les produits de la marque à la pomme, sont plus chers, que ces concurrents directs. A une époque, cet élément était défavorable à la marque [11] : les clients ne voyaient pas l'intérêt de payer plus cher pour un produit en apparence similaire à ce que pouvaient faire Microsoft ou IBM. Pourtant il semblerait que depuis la fin des années 90, posséder des appareils Apple soit devenu une manière de se distinguer socialement : d'une part du fait que les produits sont plus chers et d'autre parce que la pomme laisser paraître une image "cool" comme cela était le cas à ses débuts.

Une communication unique


Cette image "be cool", que véhicule la marque depuis ses débuts, provient aussi de sa manière peu commune de faire parler de ses produits. Très tôt dans son histoire, Apple s'est attachée les services de TBWA\Chiat\Day, une agence de communication. De cette collaboration prolifique, déboucha une première campagne de publicité pour la sortie du Macintosh. Intitulé "1984", le spot, d'une durée d'une minute, fait écho au célèbre livre de George Orwell : il promeut l'idée qu'Apple peut aider le citoyen à s'émanciper d'un pouvoir tyrannique [12]. Quinze ans plus tard, la marque recommencera avec la campagne "Think Different" en mettant cette fois-ci en avant l'anti-conformisme à travers l'histoire, mettant en scène plusieurs personnages subversifs [13].

Mais c'est avant tout les présentations de Jobs, les fameux keynotes, qui ont aussi fait la réputation d'Apple. Qui mieux que lui pour présenter les nouveaux produits de la marque ? On se souviendra de l'enthousiasme, qu'il arrivait à soulever - tant auprès de la presse que du public - au moment de dévoiler aux yeux du monde des objets aussi novateurs que l'iPod (2001), l'iPhone (2007) ou encore l'iPad (2010). Encore une manière pour lui de se démarquer des normes, car finalement, ce n'est pas au iPDG mais à ses responsables en communication de s'occuper d'un tel travail. On entrevoit ici, une dernière caractéristique de Jobs, celle de vouloir tout contrôler, de la conception du produit dans ses moindres détails [14] jusqu'à son lancement sur le devant de la scène internationale. Encore un procédé peu conventionnel, qui pourtant, a séduit des millions d'utilisateurs de par le monde.

Reste que la disparition de son patron-fondateur, voici presque deux années, laisse la pomme quasi orpheline tant Jobs savait imposer une direction à son entreprise. Aujourd'hui, la marque subit les attaques de plus en plus féroces de ses adversaires, auxquelles elle a des difficultés à répondre. Et cette fois-ci, elle ne pourra pas faire revenir Jobs pour voler à son secours...

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[1] Jobs, de Joshua Michael Stern avec Ashton Kutcher dans le rôle de Steve Jobs.
[2] John D. Rockfeller (1839-1937) est le fondateur de la Standard Oil.
[3] La légende veut que le mot Apple fut choisi parce qu'il apparaissait avant Atari dans l'annuaire téléphonique. Ce choix vaudra, par ailleurs, des problèmes à l'entreprise puisque le domaine était déjà la propriété des Beatles via la marque Apple Records. A noter que tout dans la marque Apple est symbolique, à commencer par son emblème la pomme. On peut en effet y voir l'image du fruit défendu ou encore comme c'était le cas sur le premier logo, une référence à la fameuse pomme de Newton.
[4] Dont le célèbre Steve Wozniak, un adepte du phreaking, une activité qui consiste à pirater les lignes téléphoniques pour parler à n'importe qui dans le monde...
[5] Pixar fut rachetée par Jobs à Lucas Films en 1986.
[6] Les exemples sont nombreux : Mark Zuckerberg (Facebook), Larry Page et Sergueï Brin (Google), Bill Gates, Steve Balmer et Paul Allen (Microsoft), Michael Dell (Dell Computer), Shawn Fanning (Napster),...
[7] A traduire par "penser différent".
[8] Typiquement Apple privilégie le "plug and play", c'est-à-dire que chaque produit de la marque nécessite le minimum pour fonctionner.
[9] L'intégralité de ce discours peut être visionnée à ce lien.
[10] Les marges d'Apple sont bien souvent supérieures à celles de ses concurrents directs  (de l'ordre de 20%) ; les prix vont du simple au double.
[11] Au cœur des années 90, le Macintosh d'Apple était supplanté par ceux d'IBM ou de HP...
[12] Spot "1984" à ce lien.
[13] Spot "Think Different" à ce lien. Dans cette version, le narrateur n'est autre que l'acteur Richard Dreyfuss. Une autre version existe avec Steve Jobs lui-même.
[14] Par exemple, les fameuses polices de caractères, si chères à Jobs.

Ma liberté de choisir

Décider librement est l'un des droits imprescriptibles de l'individu. Tous les jours, les choix que nous faisons, déterminent, parfois de manière définitive, ce que nous allons être et devenir, tant sur le plan personnel que professionnel. Pourtant, sans même que l'on en ait conscience, il apparaît que de nombreuses décisions échappent à notre contrôle. Ce pouvoir est laissé à diverses entités supervisées par l'état, dont nous avons du mal à dessiner les contours : ce sont elles qui se prononcent à notre place, nous privant de notre liberté d'action. Cela se résume très souvent à "vous êtes obligés de" ou "vous devez faire". Et il semble que cette intrusion dans certains compartiments de notre vie soit sans limite.

Un sentiment apparent de confort


Au premier abord, abandonner son pouvoir décisionnel à autrui, peut, aux yeux de certains, présenter quelques avantages. D'une part, on échappe au processus de réflexion préalable à toute décision. D'autre part, et c'est peut être le plus important, on n'a pas - ou plus - à porter la responsabilité d'un éventuel échec : on se contente juste de reporter la faute sur ceux qui ont décidé à notre place. Confrontés à cette situation, les individus ne cessent de critiquer, de contester, refusant par la même d'assumer leur propre démission initiale.

Et si une crise économique, politique ou sociale éclate, cette colère s'amplifie, et les coupables se multiplient : les politiques, en premier. Avant que d'autres ne soient désignés à la vindicte populaire : les riches, les étrangers,... Voire des entités plus abstraites : la finance, le marché, le libéralisme, les spéculateurs... A cette occasion, peu d'individus demandent à récupérer leur liberté de choix. Pour eux, la solution au problème consiste, le plus souvent, à déléguer encore plus, abandonnant au passage des droits et des libertés supplémentaires. Au profit d'un seul : l'état.

L'état tout puissant


Et les prétextes pour nous subtiliser notre libre-arbitre sont nombreux : la solidarité, la réduction des inégalités, le manque de compétences ou de connaissances... Tout est bon pour nous convaincre que l'état sait mieux que nous ce que nous devons faire et qu'il est également plus compétent pour dépenser notre argent, celui que nous gagnons par notre travail. A l'heure où j'écris ces lignes, l'administration publique et sa cohortes d'agences, par le truchement des cotisations sociales [1], dépense près de 700 milliards d'euros par an à notre place. Sans nous consulter ou nous demander notre avis, ou alors de loin et sans que nous en comprenions quoi que ce soit. C'est pour notre bien après tout.

A bien y regarder de près, cette manière de procéder est plus que litigieuse : le paiement des cotisations sociales n'est pas contractuellement libre mais rendu obligatoire par la loi. Sans cela, je ne suis pas certain que beaucoup d'entre nous irait donner spontanément une partie de son salaire annuel sans savoir où va l'argent ni surtout à quoi il sert. Plus grave encore, en dépensant votre argent, l'état n'est pas tenu de vous fournir un résultat satisfaisant : il se peut même que le service rendu ne vous convienne pas ou que vous n'en ayez pas besoin. Pourtant en aucun cas, vous ne pourrez récupérer votre argent pour le consacrer à un autre usage. D'autant que de leur côté, les bénéficiaires de ce système ne sont pas tenus à un quelconque devoir moral. Dès lors, on ne pourra pas leur en tenir rigueur d'abuser quelque peu de cette protection. Pas étonnant non plus, que certains en réclament de plus en plus... 

Cependant, l'individu lambda a tort de ne pas se préoccuper d'une telle situation. Car en tout état de cause, c'est son argent qui est dépensé. De même qu'il ne vous viendrait pas à l'esprit de prendre l'argent de votre voisin pour vous acheter une maison, il n'est pas juste d'utiliser l'argent des autres pour payer votre retraite ou la facture du médecin... Ce serait malhonnête, non ? De la violation de la propriété privée. Du vol même, donc punissable par la loi.

Du libre-choix à la responsabilité


Malgré l'envahissement de l'état dans notre vie, il nous reste encore quelques espaces de liberté : il est encore des choix que nous pouvons faire seuls. Et cela même si nous ne disposons pas des connaissances ou les compétences nécessaires. Ces décisions sont alors soumises à un examen minutieux - partage d'avis, débats, réflexions -, le tout demandant une certaine maturation avant d'arrêter le choix définitif. Et si nous croyons ne pas être assez expert sur le sujet, il n'est pas rare de faire appel à un avis extérieur. En effet qui mieux qu'un agent immobilier pourrait vous conseiller pour l'achat d'un logement par exemple? Au cas où les orientations proposées ne vous conviennent pas, vous pourrez toujours changer et aller voir ailleurs. 

En réalité, ce louvoyage n'a pour d'autre but que de sécuriser la prise de décision. On veut être - relativement - sûr que notre choix est le bon. Et ce pour une bonne raison : en cas d'erreur, il n'y aura pas de filet pour se rattraper, notre responsabilité sera entière. Une véritable épée de Damoclès ! On tente donc de minimiser au mieux le risque pris.

Imaginez donc si les banques américaines - et mondiales - avaient fait preuve de la même tempérance avant la fameuse crise des "subprimes". Pour cela, encore aurait-il fallu que l'état américain ne leur confisque pas leur responsabilité... Vœu pieu...

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[1] Pour vous en rendre compte, regardez vos bulletins de paie.

Les diamants ne sont pas (vraiment) éternels

Il est des vérités difficilement avouables au public. Je me lance : non les diamants ne sont pas éternels. Voilà, c'est dit. C'est la science, et plus exactement la thermodynamique qui nous explique pourquoi.

C'est quoi un diamant ?


Le diamant est un cristal composé d'atomes de carbones [1]. Pour en générer un seul [2], il faut réunir des conditions élevées de températures et de pressions et plus le carbone y passe de temps et plus le cristal croît. Cependant, le carbone diamant n'est pas la seule forme sous laquelle se présente cet élément sur Terre. En fait il existe plusieurs variétés, dites allotropiques, du carbone. Parmi elles, on trouve le graphite, qui est l'une des plus communes [3].

Pourtant, cette forme particulière du carbone, présente la particularité chimique de ne pas être stable dans les conditions normales de pression et de température : on dit alors qu'elle est métastable. Autrement dit, elle se transforme. Et pas en n'importe quoi. Pour reprendre les mots du chimiste français Lavoisier [4], "rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme". Dans notre cas, il transmute en carbone graphite. Beaucoup moins glamour. En thermodynamique, on dit que l'équilibre chimique qui existe entre les deux allotropes est déplacé vers le carbone graphite.

De la science à la réalité


Or quand la thermodynamique affirme quelque chose, elle ne se trompe jamais. Alors comment expliquer que nos chers diamants ne se transforment pas soudainement en vulgaires morceaux de charbon ? Et bien, il existe encore une barrière à franchir, la cinétique. Je m'explique : chaque réaction chimique dans l'univers [5] se produit à une certaine vitesse. Certaines se produisent très rapidement - une combustion par exemple - tandis que d'autres sont très lentes. La transformation du carbone diamant en carbone graphite fait partie de la deuxième catégorie. On peut même dire qu'elle est infiniment lente, tant et si bien que la mutation du diamant en graphite n'est pas visible même à l'échelle de plusieurs millénaires. On parle alors de blocage cinétique.

Finalement, mesdames, vous pouvez vous rendormir tranquilles. Ce message n'était qu'une fausse alerte. Rassurez-vous, vos diamants seront encore là demain matin...

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[1] Même si d'autres éléments comme l'hydrogène peuvent se trouver présents en quantités infimes. Sa cristallisation particulière (cubique faces centrées) en fait la surface la plus dure que l'on peut trouver dans la nature.
[2] On peut former des diamants de manière artificielle. Ces derniers sont essentiellement destinés à l'industrie.
[3] Tellement commune, qu'elle équipe vos crayons à papier.
[4] Antoine Lavoisier (1743-1794). Il était également homme politique et fut l'un des rares à voter contre la mort de Louis XVI.
[5] L'univers constitue tout ce qui nous entoure dans le vocabulaire d'un thermodynamicien.

Le pied nickelé

Pour ceux qui ne le connaîtraient pas, Gérard Filoche est un ancien inspecteur du travail, membre du Bureau National du Parti Socialiste, militant actif de divers syndicats et ce qui nous intéresse ici, un utilisateur compulsif du service de microblogging Twitter [1]. Régulièrement, ce marxiste de la dernière heure, nostalgique de tous les défunts régimes socialistes de l'Histoire - et de ceux qui existent encore - nous surprend par une sortie aussi péremptoire que dénuée de bon sens. La dernière nous est parvenue un peu plus tôt dans la journée. Je cite : 
Suppression immédiate de ce statut bâtard scandaleux de "loueurs de bras XIXème siècle" appelé indûment "auto-entrepreneur" [2].
Autant le dire tout de suite, notre cher et dévoué internaute n'aime pas les gens qui ont le courage d'entreprendre, de créer, de s'extraire du statut de salarié pour passer à celui plus précaire de patron. Je dis plus précaire et je le maintiens. Car, soyons réalistes, le plus souvent, un jeune patron, qu'il soit auto-entrepreneur ou non, prend des risques en investissant son argent et son temps pour voir son rêve se concrétiser. Alors c'est vrai qu'à plus ou moins long terme, il attend de récolter les fruits de son travail. Puisque n'oublions pas, Monsieur Filoche, ce vilain capitaliste il aurait pu le dépenser ailleurs son argent. Mais non, il a préféré l'investir. Quel Cro-Magnon [3] !

Le plus souvent, ces hommes et femmes ne comptent par leurs heures, ne prennent pas de repos hebdomadaires ni de vacances, ne se versent pas de salaires, ne peuvent pas tomber malades, n'ont pas le droit au chômage en cas d'échec, cotisent pour des retraites de misère [4], et, comble du système, sont marqués au fer rouge de la honte en cas de faillite de leur affaire [5]. Cependant à écouter Gérard Filoche, tout cela semble normal. Après tout, ce vil individu aurait dû faire comme tout le monde : devenir un gentil fonctionnaire. Tout juste s'il avoue que c'est "dangereux" de travailler 80 heures par semaine. Oubliant au passage que ces petits chefs d'entreprise n'ont bien souvent pas le choix tant il y a de choses à faire pour qu'une société marche et se développe : trouver des clients, payer les fournisseurs, monter des dossiers pour obtenir des crédits, éplucher les réglementations toutes plus instables les unes que les autres... 

En France, on peut le dire sans hésiter, rien n'est fait pour aider ces gens - et encore moins inciter d'autres à les rejoindre. Non, en France, on les prend juste pour des vaches à lait, juste bons à remplir les caisses, désespérément, vides de l'Etat et de la Sécurité Sociale. Mais cela, Gérard Filoche ne le voit pas. Pour lui, un patron n'est rien d'autre qu'un exploiteur, un profiteur du système, gavé de subventions. A croire que ce monsieur, qui dit pourtant avoir passé 25 années à côtoyer des entreprises, ne sait pas comment elles fonctionnent.

Reste que si ces entrepreneurs n'existaient pas, et ne payaient pas leurs charges sociales [6], Monsieur Filoche ne pourrait pas jouir de sa retraite, ni continuer à militer dans son parti. Alors c'est qui l'égoïste Gérard ?

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[1] Le CV de ce cher Gérard - intitulé sobrement Ma bio - est consultable à ce lien.
[2] J'ai quelque peu rectifié le tweet original disponible à ce lien.
[3] Les aficionados de Gérard Filoche comprendront.
[4] J'ai des exemples au cas où... 
[5] Ce point serait censé disparaître aux dires de notre actuel gouvernement. Ce n'est pas du goût de Gérard d'ailleurs.
[6] Je sais que Gérard n'aime pas ce terme, lui préférant celui plus bisounours de "cotisations sociales".

Robin, le roi et et la dépense publique

Tout le monde a déjà vu ou lu une histoire de Robin des Bois [1]. Ce héros du folklore anglais, habile au maniement de l'arc, dépossédé de ses biens à son retour de la troisième croisade et qui se serait rebellé contre l'autorité royale incarnée par le terrible Shérif de Nottingham [2]. Mais revenons aux sources de la légende.

La Troisième Croisade


En 1187, près d'un siècle après la première croisade en Terre Sainte [3], la ville de Jérusalem tombe aux mans du chef de guerre Ayyoubide Saladin [4]. Sitôt prévenus, les Royaumes de France et d'Angleterre alors en guerre, se voient contraints par le Vatican de reprendre la ville sainte [5]. Philippe Auguste et Henri II Plantagenêt lève alors un impôt, la dîme saladine afin de financer l'effort de guerre [6]. Toute la population doit acquitter cette nouvelle taxe, à l'exception des valeureux qui partiront combattre. De son côté, le clergé s'en affranchira en versant 5 000 marcs d'argent au trésor [7].

Bientôt, Henri II, meurt et son fils, Richard, comte d'Anjou, lui succède. Ayant pris la croix dès la chute de Jérusalem, le nouveau monarque respecte la parole de son père et part rejoindre Philippe. En plus de la dîme saladine et de l'argent du trésor, Richard emprunte de fortes sommes d'argent à des usuriers et vend des terres [8]. Parmi les troupes qui l'accompagnent, il se serait trouvé de nombreux nobles dont un certain Robin de Loxley [9]. Après une escale à Chypre, que Richard vend aux Templiers [10], les armées croisées arrivent en Terre Sainte.

Lors des violents combats qui se déroulent là-bas, le jeune et pugnace roi se montre courageux et audacieux ce qui lui vaut l'admiration de ses adversaires arabes. N'arrivant pas à reconquérir la ville trois fois saintes, les croisés se rabattent sur Saint-Jean d'Acre qui finit par tomber en 1191. Ce fait d'arme est le dernier des seigneurs croisés dans la région.

Querelle de famille


Cependant, la situation à Londres s'est détériorée. Pendant son absence, Richard a confié la régence à deux hommes : l'évêque de Durham et Guillaume Longchamp. Cette situation ne plaît pas à Jean Sans Terre, le plus jeune frère de Richard. Ce dernier complote pour prendre le pouvoir et ce malgré l'intervention de sa mère d'Aliénor d'Aquitaine [11]. Jean va même jusqu'à s'allier à Philippe Auguste entre-temps revenu des Croisades après la chute de Saint-Jean d'Acre. Ayant été mis au courant de la possible trahison de son frère, Richard conclut hâtivement une paix avec Saladin, puis prend le chemin de l'Angleterre à la fin de l'année 1192 [12].

Alors que son armée revient par la mer, Richard se déguise en marchand et décide de faire le voyage par la terre. Son trajet l'amène à traverser la ville de Vienne où il est capturé par Leopold V de Babenberg qui le livre à l'empereur Henri VI [13], un vieil ennemi de la famille Plantagenêt. Ce dernier exige une rançon pour libérer le seigneur anglais : cent cinquante mille marcs d'argent [14]. L'équivalent à l'époque de deux années de revenus du royaume d'Angleterre. Une fortune donc ! Prenant connaissance du sort de son fils, Aliénor prend sur elle de satisfaire les exigences du seigneur germain. Péniblement, elle réunit la somme en quelques mois et décide d'aller la porter elle-même [15].

Un royaume en faillite


Cet épisode pousse le trésor anglais au bord de la faillite. En effet, le pays est déjà fortement endetté à cause de l'effort voulu par Richard pour sa croisade en Terre Sainte. Harassés de taxes, les barons et les paysans ont tout juste ce qu'il faut pour survivre. Certains seigneurs, se seraient peut-être même vus expropriés leurs biens sans ménagement, faute de vouloir participer à la libération de leur bien-aimé roi. Parmi eux Loxley qui aurait alors décidé de prendre le maquis pour lutter contre l'oppression fiscale de l'usurpateur. Depuis son fief de la forêt de Sheerwood, Robin des Bois, comme il se fait désormais appelé, n'aura de cesse de détrousser le percepteur d'impôts et de redistribuer au peuple l'argent qu'il avait durement gagné. Sa tête est bientôt mise à prix. Il est traqué par les hommes de main du Shérif qui voient en lui le symbole de la rébellion à l'autorité royale, autorité contestable sur plusieurs points : elle n'est pas légitime et elle opprime le peuple sous les impôts, la menace et la violence. Il prend la tête de la révolte et forme les paysans à l'art de la guérilla. La légende est née.

De retour en Angleterre au début de l'année 1194, Richard accède à la demande de sa mère et pardonne à son frère Jean avant de remonter sur le trône [16]. Avant de repartir en guerre quelques mois plus tard contre Philippe Auguste, le roi de France, pour reprendre les territoires perdus en son absence [17]. Cette campagne a aussi pour but de remplir les caisses du royaume, totalement vides. Richard y parviendra en partie, avant de perdre de la vie en 1199 [18], propulsant Jean comme le nouveau monarque britannique. En dix années de règne, il n'aura passé que six mois tout au plus sur l'île [19].

Épilogue


Bien évidemment, aujourd'hui, nos dirigeants ne sont plus faits prisonniers et nous n'avons plus de rançons à payer pour leur libération. Pourtant nos déficits publics sont abyssaux. En France, le budget de l'état représente environ 350 milliards d'euros par an. La dette, quant à elle, atteint le chiffre astronomique de 1800 milliards d'euros [20]. Autant dire un peu plus de cinq années de recettes fiscales. Richard Ier, dit Coeur de Lion, n'était donc qu'un parfait amateur en comparaison de nos élites politiques actuelles. Et encore, le royaume d'Angleterre de l'époque n'assurait pas de dépenses sociales...

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[1] Je conseille au passage l'adaptation cinématographique de Michael Curtiz (Les aventures de Robin des Bois) sortie en 1938 avec Errol Flynn dans le rôle titre.
[2] Il n'en est pas fait mention dans l'histoire. Il s'agit d'une invention tardive.
[3] La première croisade commence en 1095 et se termine avec la prise de Jérusalem en 1099. Parmi les chefs qui la mènent on peut relever Godefroy de Bouillon (1058-1100) ou Raymond IV de Toulouse. Le premier sera nommé Avoué du Saint-Sépulcre, refusant le titre de Roi de Jérusalem.
[4] Saladin (vers 1138-1193). Ce chef arabe réussit à unifier le Proche Orient et à réduire la présence des nations européennes en Terre Sainte.
[5] Les deux rois se réunissent à Gisors en janvier 1188.
[6] Une fois revenue de la croisade, Philippe II tentera de maintenir cette taxe.
[7] Le marc est une unité de mesure valant une demi-livre soit huit onces (environ 244.75 grammes, une once valant 30,594 grammes). Cette unité donna son nom au Mark, la monnaie allemande. 5 000 marcs représentaient 1 223.75 kilogrammes d'argent.
[8] Notamment la province de l'Ecosse.
[9] Loxley est un petit village du comté du Warwickshire.
[10] Le prix de vente était de  25 000 marcs d'argent. Encore aujourd'hui, des descendants de l'ordre sont encore établis : l'ordre souverain militaire hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem, de Rhodes et de Malte.
[11] Aliénor d'Aquitaine (1137-1204). Elle fut mariée en premières noces au roi franc Louis VII puis au roi d'Angleterre Henri II Plantagenêt. Elle est inhumée à l'Abbaye de Fontevraud dans le Maine-et-Loire où son gisant est encore visité aujourd'hui.
[12] Finalement le complot échoua.
[13] Henri VI (1165-1197) est le fis de Frédéric Barberousse, qui participa un temps à la troisième croisade avant de se retirer.
[14] Plus de 36 tonnes d'argent... Soit environ 20 millions d'euros au cours actuel du métal...
[15] Et ce malgré son âge. Elle demandera aussi à Richard de pardonner à son frère Jean.
[16] Il nommera Jean comme héritier.
[17] Notamment la Normandie. La preuve de l'affrontement entre Philippe et Richard est encore observable de nos jours : de nombreuses forteresses ont jailli du sol en quelques années, la plus connue étant Château-Gaillard.
[18] Richard meurt lors du siège du château de Châlus. Il est enterré auprès de sa mère à Fontevraud. Jean lui succède.
[19] Preuve de son peu d'engagement pour le pays, Richard ne parlait pas anglais. Il n'avait d'ailleurs pas la réputation d'être un bon monarque au contraire de son frère Jean. Le titre de ce dernier vient du fait qu'il était trop jeune pour posséder des terres à la mort de son père Henri II.
[20] Chiffres vérifiables à ce lien.

Jefferson, ce libéral

En juin 1776, un comité de cinq personnes [1], désigné par le Second Congrès Continental, est chargé de rédiger ce qui deviendra la Déclaration d'Indépendance, l'un des textes fondateurs de la nation américaine [2]. Essentiellement rédigé par Thomas Jefferson et inspiré par la philosophie des Lumières, ce document est l'un des premiers exemples de l’exaltation de la Liberté. Il sera suivi en 1789 par la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen [3].

Dans cette déclaration, les colons expliquent que tous les hommes sont égaux en droits et qu'ils ont des droits imprescriptibles [4]. La négation de ces droits par un gouvernement - comme c'était le cas dans les colonies - justifier et légitime la résistance au despotisme [5]. Jefferson va plus loin en disant qu'il est même de leur devoir de combattre ce gouvernement, pour le remplacer par un autre qui fera respecter les droits naturels des individus.

Plus de deux cents ans après cet appel, il serait bon pour nous de rappeler à nos gouvernements ces quelques phrases [6].
"Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir ces droits, et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés. Toutes les fois qu'une forme de gouvernement devient destructive de ce but, le peuple a le droit de la changer ou de l'abolir et d'établir un nouveau gouvernement, en le fondant sur les principes et en l'organisant en la forme qui lui paraîtront les plus propres à lui donner la sûreté et le bonheur. La prudence enseigne, à la vérité, que les gouvernements établis depuis longtemps ne doivent pas être changés pour des causes légères et passagères, et l'expérience de tous les temps a montré, e n effet, que les hommes sont plus disposés à tolérer des maux supportables qu'à se faire justice à eux-mêmes en abolissant les formes auxquelles ils sont accoutumés.
Mais lorsqu'une longue suite d'abus et d'usurpations, tendant invariablement au même but, marque le dessein de les soumettre au despotisme absolu, il est de leur droit, il est de leur devoir de rejeter un tel gouvernement et de pourvoir, par de nouvelles sauvegardes, à leur sécurité future. Telle a été la patience de ces Colonies, et telle est aujourd'hui la nécessité qui les force à changer leurs anciens systèmes de gouvernement. L'histoire du roi actuel de Grande-Bretagne est l'histoire d'une série d'injustices et d'usurpations répétées, qui toutes avaient pour but direct l'établissement d'une tyrannie absolue sur ces États."
A bon entendeur...

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[1] Baptisé Committee of Five, il est composé de Benjamin Franklin, Thomas Jefferson, John Adams, Roger Sherman et Robert Livingston.
[2] Signé le 4 juillet à l'Independence Hall de Philadelphie, le texte est aujourd'hui exposé aux Archives Nationales à Washington.
[3] Étrangement rangé au rang de vieillerie historique...
[4] On entend ici "droits naturels" par opposition aux "droits positifs".
[5] Une forme de gouvernement au pouvoir et à l'autorité absolus.
[6] A noter que la traduction de la déclaration est l'œuvre de Jefferson lui-même, parfait francophone.

Inflation

Je parlais récemment dans un de mes billets de l'Omega Speedmaster, plus connue sous le nom de Moonwatch [1]. La marque suisse, qui la fabrique, ne communique pas le prix de ce chronographe en ligne et encore moins celui auquel elle le vend à ses revendeurs agréés. Pourtant, force est de constater que le prix de ce chronographe de légende a plus que flambé ces dernières années. En 2007, un acheteur m'a confié l'avoir vue affichée à 2400 euros. Suite à une négociation avec le bijoutier, il l'a finalement acquise pour 1900 euros [2]. Aujourd'hui, le site La Cote des Montres la donne à 2900 euros neuve [3]. En vente, le prix serait plus proche des 3200 euros [4]. Soit une augmentation nette de 800 euros, en moyenne, sur une période de six ans.

La hausse de ce tarif m'a amené à m'interroger sur son origine. Pourquoi les prix ont-ils autant grimpé pendant cette période ? J'ai identifié les causes suivantes :
- la parité entre l'euro est le franc suisse a évolué. En 2007, la monnaie helvétique valait, en moyenne, 0.6 euros. Aujourd'hui, elle vaut 0.8 euros. Le franc s'est donc apprécié d'environ  30%. Elle est donc devenue moins favorable pour un acheteur de la zone euro - et encore plus pour un client américain, la tendance étant la même pour le dollar américain.
- l'augmentation du prix des matières premières depuis 2007, et plus particulièrement des métaux tels que l'acier (+ 40%) ou encore de l'or (presque 50% ),...

Ces deux facteurs combinés ont un impact non négligeable sur le prix final d'un tel objet. Et à bien y regarder de plus près, il y a fort à parier que cela ne soit que le début.

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[1] La première montre à être allée sur la Lune...
[2] Soit une remise de 20%
[3] Le modèle standard avec fond vissé et verre en hesalite. Voir le lien.
[4] D'après le site de la boutique Maier à Lyon.

Le monopole du temps

L'appellation chronomètre est fréquemment utilisée par quiconque possède une montre disposant de deux à trois compteurs [1] et permettant de mesurer - avec précision - une période de temps. Pourtant, au regard de la définition officielle, il s'avère le plus souvent que l'utilisation de ce terme est impropre. Seules les horloges ayant subi une série de tests, couronnés de succès, peuvent prétendre au titre de chronomètre. Toutes les autres sont simplement appelées chronographes.

La différence entre les deux termes peut paraître insignifiante aux yeux des profanes mais elle est à l'origine d'une série de règles monopolistiques qui ont été introduites depuis la toute fin du XIXème siècle. La confusion est d'autant plus grande que le mot chronomètre et le verbe qui lui est associé sont passés dans le langage courant [2].

Pourtant, cela ne veut pas dire que les montres chronographes sont de mauvaise qualité [3] : cela signifie juste que le mouvement qui les équipe, qu'il soit mécanique ou à quartz, n'a pas été éprouvé par un des trois organismes dans le monde disposant des instruments adéquats. Mais avant d'en dire plus, faisons un bref retour dans le temps pour connaître l'origine de la chronométrie moderne.

Développement du chronométrage


L'introduction massive des chronomètres date, plus ou moins, de l'époque de la révolution industrielle. Les notions d'heures et de durées, qui jusqu'alors étaient plutôt secondaires dans le monde paysan, deviennent indispensables, notamment dans l'activité des transports ferroviaires. A l'époque, l'absence de communications radio pouvait causer de graves accidents [4]. La seule parade à cela était de synchroniser, le plus précisément possible, des convois pour offrir des conditions de sécurité optimale. Pour remplir cette mission, le recours aux chronomètres se généralise. Ces gardes-temps devaient fonctionner parfaitement dans toutes les conditions. Un autre argument en faveur de l'utilisation de tels instruments est qu'un retard d'un convoi de marchandises pouvait pénaliser une compagnie en envoyant ses clients à la concurrence.

C'est aux Etats-Unis que se développe principalement leur usage. En effet, la taille du territoire oblige à coordonner le plus rigoureusement possible les trains, alors que le trafic va croissant. Au début des années 1890, un grave accident de train, causé par la panne d'une montre [5], oblige les compagnies de chemin de fer à réagir pour améliorer la sécurité du trafic. Elle charge alors un horloger américain, Webb C. Ball, d'établir les premières règles de certifications des chronomètres. A l'époque il s'agit pour l'essentiel de spécifications dans la fabrication des montres mais aussi de limites à ne pas excéder quant à leur précision [6]. Rapidement l'industrie horlogère américaine se conforme à ses règles : la Waltham Watch Company tout d'abord, bientôt suivie par la Eglin National Watch Company et Hamilton. Il faut ici préciser que ces entreprises fournissaient la propre société de Ball en mouvements.

En plus d'imposer des standards plus rigoureux, Ball demande aussi à ce les mouvement soient exclusivement d'origine américaine afin d'éviter des ruptures de stocks des pièces détachées. Plus simplement, on peut y voir une tentative de protéger le secteur horloger américain de la concurrence européenne et notamment celle en provenance de Suisse. Se soumettant à ces standards rigoureux, les horlogers américains vont, dès lors, s'imposer comme des experts dans le domaine du chronométrage ferroviaire [7]. Conséquemment à ces dispositions, le nombre d'accidents graves diminue.

De la Suisse au Japon


Rapidement les marques européennes adoptent, elles aussi, les règles de Ball, même si l'attitude protectionniste des Américains n'est pas pour plaire aux manufactures jurassiennes, qui commencent à voir le jour. De l'artisanat dans laquelle elle était, l'industrie suisse modernise ses installations et se déplace dans le canton de Berne, et plus précisément dans la ville de Bienne, où la main d'œuvre est plus qualifiée et les transports plus développés [8].

A l'orée du XXème siècle, les manufactures suisses se montrent à leur avantage en termes de précision, de design et de qualité des mouvements proposés. Et malgré quelques crises passagères - notamment celle de 1929 [9] - elles se distinguent rapidement comme des références et dépassent leurs homologues d'outre-Atlantique. Plusieurs marques américaines passent d'ailleurs sous contrôle helvétique  dans les années 50 ou viennent dans les Alpes pour se fournir en mouvements [10].

Dominateurs, les Suisses tentent, à leur tour, de monopoliser le terme chronomètre. Ainsi, en 1924, plusieurs manufactures franchissent le Rubicon [11] et créent la Société Suisse de Chronométrie afin de protéger leur savoir-faire, utilisant en quelque sorte les armes de l'adversaire. Aujourd'hui encore, la SSC regroupe plus d'un millier de collaborateurs, provenant pour l'essentiel des fabricants. 

Pourtant au début des années 70, alors que tout semblait sourire aux Suisse, le Japon, alors en plein boum économique [12], surgit sur le marché des montres-bracelets. La révolution du quartz est en marche, permettant la fabrication de montres plus légères, plus simples et donc moins chères. Seiko vient de lancer la sienne [13] et conquiert rapidement des parts de marché. Citizen s'avère aussi un concurrent redoutable. Une bonne partie des manufactures suisses, jusque là dominatrices, voit alors leurs ventes s'effondrer. Alors que Rolex perdure dans le tout mécanique, Omega tente de riposter avec des quartz suisses. Mais l'avance technologique japonaise dans le domaine s'avère trop difficile à rattraper. Omega traverse alors une mauvaise passe, étant proche du dépôt de bilan.

Nouvelles règles


La précision et la fiabilité atteintes par les montres à quartz japonaises en font des prétendantes sérieuses à la catégorie chronomètre. Faisant ce constat, les fabricants helvètes se sentent donc menacés dans leur jardin privé. Leur riposte sera à la mesure du danger : protectionniste et conservatrice. 

En 1973, cinq cantons - Berne, Genève, Neufchâtel, Soleure et Vaud - créent, avec le concours de la Fédération de l'industrie horlogère suisse [14], une association à but non lucratif, le COSC, un acronyme pour Contrôle Officiel Suisse des Chronomètres. Cet organisme, reconnu d'utilité publique [15], est chargé de certifier les mécanismes que lui fournissent les différents fabricants de montres, qu'ils soient à quartz ou mécaniques [16]. Le COSC établit dans la foulée des standards à respecter afin de voir sa montre estampillée du précieux sésame [17]. Inspirés de ceux de Ball [18], ils sont suffisamment sévères pour exclure 97% des mouvements fabriqués en Suisse annuellement [19]. Une fois qualifiés - ou non - les mouvements sont retournés au fabricant qui procède à leur emboîtage , selon le jargon consacré, avant de les mettre en vente. Outre la certification, le COSC représente et défend le titre de chronomètre sur le plan international, n'hésitant pas à recourir à la justice.

Le but, non avoué, de ce stratagème est de conserver la certification aux seules montres suisses. Libre à leurs concurrents de faire certifier leurs modèles, mais il faudra alors qu'ils mettent la main à la poche pour payer les quinze jours de tests au COSC... Sans garantie d'obtenir le précieux diplôme. et pour s'assurer le contrôle du marché, l'organisme déploie des moyens considérables - trois laboratoires [20] ainsi que du matériel de pointe créé spécialement pour tester les mouvements - lui permettent de traiter plus d'un million de mouvement par an. Leur premier client n'est autre que Rolex, qui représente 2/3 des certifications [21]... Si on ajoute à cela que la manufacture à la couronne est le premier contributeur du COSC, on se doute bien qu'il a un petit conflit d'intérêt évident.

Monopole durable ?


Outre le COSC, deux autres organismes de certification existent sur le marché, mais ils sont minoritaires. Aucun ne dispose des moyens financiers suffisants pour gagner des parts de marché. Le premier, l'Observatoire de Besançon est le seul qui est véritablement indépendant. Il présente l'avantage de certifier des montres déjà emboîtées ce qui paraît plus logique étant donné que c'est de cette manière qu'elles seront vendues aux clients. Le second, le centre WEMPE Glasshütte en Allemagne, est associé à la marque du même nom donc ne peut pas exclure les conflits d'intérêts [22]. On est donc en présence d'un quasi-monopole. 

Pourtant force est de constater que la valeur de cette certification est plus que discutable. Par exemple, Breitling qui fait certifier environ 200 000 mouvements par an, réajuste systématiquement les mécanismes après le passage par le COSC [23]. Autre marque notable, Seiko. Un temps, l'entreprise japonaise avait cédé à la tentation de la certification. Elle l'a aujourd'hui pratiquement abandonnée, excepté pour ses modèles haut de gamme [24]. Omega a fait de même. Il faut dire que les manufactures disposent désormais de leurs propres contrôles internes, leur permettant d'échapper à l'organisme. Et ces contrôles sont presque aussi sévères que ceux du COSC.

L'argument marketing qui consistait, il y a encore quelques années, à faire valoir la certification semble donc s'estomper progressivement. D'autant plus que le surcoût pour le consommateur n'est pas anodin [25].  Il n'est donc pas impossible que ce monopole soit remis en cause dans un avenir proche...

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[1] Un compteur est un indicateur situé à 3, 6 ou 9 heures sur le cadran. Doté d'une petite aiguille, il permet de comptabiliser le temps sur une longue période.
[2] Ne serait-ce que dans les compétitions sportives.
[3] La preuve est l'obtention de la qualification espace par le chronographe OMEGA Speedmaster. Les tests pratiqués étaient autrement plus durs que ceux proposés aujourd'hui par le COSC.
[4] Le seul véritable moyen de communication était le télégraphe, système beaucoup trop lent pour coordonner des trains.
[5] L'accident en question s'est produit à Kipton dans l'Ohio. Deux trains étaient entrés en collision.
[6] Déviation maximale tolérée de 4 secondes par jour.
[7] Les horlogers américains vendent leurs montres jusqu'en Europe et La Waltham devient le fournisseur de plus d'une cinquantaine de compagnies de chemin de fer.
[8] Originellement, la marque était installée à la Chaux-de-Fonds.
[9] La crise oblige Omega à fusionner avec une autre marque, Tissot. Elle forme à elles deux une nouvelle structure baptisée SSIH (Société Suisse pour l'Industrie Horlogère). Aujourd'hui, cette société est la propriété du groupe Swatch.
[10] Parmi lesquelles Hamilton.
[11] Célèbre fleuve séparant la Gaule de l'Italie et franchi par César afin de défier Pompée.
[12] Le fameux miracle économique.
[13] La fameuse Astron, lancée en 1969.
[14] Cette organisme regroupe tous les fabricants de montres suisses, dont les intérêts sont convergents.
[15] C'est plutôt discutable de mon point de vue...
[16] Une norme ISO (ISO3519) a été établie en 1976 pour les mouvements mécaniques. Une similaire pour le mouvements quartz est en cours de rédaction. Seules les mécanismes satisfaisant aux critères de cette norme sont qualifiés chronomètres.
[17] La firme Rolex pousse le vice plus loin en apposant l'inscription "Superlative Chronometer Officially Certified" sur les cadrans de ses montres.
[18] Les montres subissent des tests de précision pendant quinze jours à trois températures et dans cinq positions différentes.
[19] Selon les chiffres officiels.
[20] A Bienne, Genève et Le Locle.
[21] Suivent Omega et Breitling (dont la totalité des modèles sont certifiés).
[22] Glashütte Original est la propriété de Swatch Group.
[23] Breitling règle généralement ces mécanismes pour qu'il avance. La raison à cela est que le mouvement n'a pas besoin d'être réglé : il suffit juste de l'arrêter pour le remettre à l'heure.
[24] La Grand Seiko par exemple.
[25] Le coût de la certification n'est pas connue. En revanche la flambée des prix des gardes-temps ces dernières années oblige les fabricants à beaucoup de prudence quant aux surcoûts éventuels...