Robin, le roi et et la dépense publique

Tout le monde a déjà vu ou lu une histoire de Robin des Bois [1]. Ce héros du folklore anglais, habile au maniement de l'arc, dépossédé de ses biens à son retour de la troisième croisade et qui se serait rebellé contre l'autorité royale incarnée par le terrible Shérif de Nottingham [2]. Mais revenons aux sources de la légende.

La Troisième Croisade


En 1187, près d'un siècle après la première croisade en Terre Sainte [3], la ville de Jérusalem tombe aux mans du chef de guerre Ayyoubide Saladin [4]. Sitôt prévenus, les Royaumes de France et d'Angleterre alors en guerre, se voient contraints par le Vatican de reprendre la ville sainte [5]. Philippe Auguste et Henri II Plantagenêt lève alors un impôt, la dîme saladine afin de financer l'effort de guerre [6]. Toute la population doit acquitter cette nouvelle taxe, à l'exception des valeureux qui partiront combattre. De son côté, le clergé s'en affranchira en versant 5 000 marcs d'argent au trésor [7].

Bientôt, Henri II, meurt et son fils, Richard, comte d'Anjou, lui succède. Ayant pris la croix dès la chute de Jérusalem, le nouveau monarque respecte la parole de son père et part rejoindre Philippe. En plus de la dîme saladine et de l'argent du trésor, Richard emprunte de fortes sommes d'argent à des usuriers et vend des terres [8]. Parmi les troupes qui l'accompagnent, il se serait trouvé de nombreux nobles dont un certain Robin de Loxley [9]. Après une escale à Chypre, que Richard vend aux Templiers [10], les armées croisées arrivent en Terre Sainte.

Lors des violents combats qui se déroulent là-bas, le jeune et pugnace roi se montre courageux et audacieux ce qui lui vaut l'admiration de ses adversaires arabes. N'arrivant pas à reconquérir la ville trois fois saintes, les croisés se rabattent sur Saint-Jean d'Acre qui finit par tomber en 1191. Ce fait d'arme est le dernier des seigneurs croisés dans la région.

Querelle de famille


Cependant, la situation à Londres s'est détériorée. Pendant son absence, Richard a confié la régence à deux hommes : l'évêque de Durham et Guillaume Longchamp. Cette situation ne plaît pas à Jean Sans Terre, le plus jeune frère de Richard. Ce dernier complote pour prendre le pouvoir et ce malgré l'intervention de sa mère d'Aliénor d'Aquitaine [11]. Jean va même jusqu'à s'allier à Philippe Auguste entre-temps revenu des Croisades après la chute de Saint-Jean d'Acre. Ayant été mis au courant de la possible trahison de son frère, Richard conclut hâtivement une paix avec Saladin, puis prend le chemin de l'Angleterre à la fin de l'année 1192 [12].

Alors que son armée revient par la mer, Richard se déguise en marchand et décide de faire le voyage par la terre. Son trajet l'amène à traverser la ville de Vienne où il est capturé par Leopold V de Babenberg qui le livre à l'empereur Henri VI [13], un vieil ennemi de la famille Plantagenêt. Ce dernier exige une rançon pour libérer le seigneur anglais : cent cinquante mille marcs d'argent [14]. L'équivalent à l'époque de deux années de revenus du royaume d'Angleterre. Une fortune donc ! Prenant connaissance du sort de son fils, Aliénor prend sur elle de satisfaire les exigences du seigneur germain. Péniblement, elle réunit la somme en quelques mois et décide d'aller la porter elle-même [15].

Un royaume en faillite


Cet épisode pousse le trésor anglais au bord de la faillite. En effet, le pays est déjà fortement endetté à cause de l'effort voulu par Richard pour sa croisade en Terre Sainte. Harassés de taxes, les barons et les paysans ont tout juste ce qu'il faut pour survivre. Certains seigneurs, se seraient peut-être même vus expropriés leurs biens sans ménagement, faute de vouloir participer à la libération de leur bien-aimé roi. Parmi eux Loxley qui aurait alors décidé de prendre le maquis pour lutter contre l'oppression fiscale de l'usurpateur. Depuis son fief de la forêt de Sheerwood, Robin des Bois, comme il se fait désormais appelé, n'aura de cesse de détrousser le percepteur d'impôts et de redistribuer au peuple l'argent qu'il avait durement gagné. Sa tête est bientôt mise à prix. Il est traqué par les hommes de main du Shérif qui voient en lui le symbole de la rébellion à l'autorité royale, autorité contestable sur plusieurs points : elle n'est pas légitime et elle opprime le peuple sous les impôts, la menace et la violence. Il prend la tête de la révolte et forme les paysans à l'art de la guérilla. La légende est née.

De retour en Angleterre au début de l'année 1194, Richard accède à la demande de sa mère et pardonne à son frère Jean avant de remonter sur le trône [16]. Avant de repartir en guerre quelques mois plus tard contre Philippe Auguste, le roi de France, pour reprendre les territoires perdus en son absence [17]. Cette campagne a aussi pour but de remplir les caisses du royaume, totalement vides. Richard y parviendra en partie, avant de perdre de la vie en 1199 [18], propulsant Jean comme le nouveau monarque britannique. En dix années de règne, il n'aura passé que six mois tout au plus sur l'île [19].

Épilogue


Bien évidemment, aujourd'hui, nos dirigeants ne sont plus faits prisonniers et nous n'avons plus de rançons à payer pour leur libération. Pourtant nos déficits publics sont abyssaux. En France, le budget de l'état représente environ 350 milliards d'euros par an. La dette, quant à elle, atteint le chiffre astronomique de 1800 milliards d'euros [20]. Autant dire un peu plus de cinq années de recettes fiscales. Richard Ier, dit Coeur de Lion, n'était donc qu'un parfait amateur en comparaison de nos élites politiques actuelles. Et encore, le royaume d'Angleterre de l'époque n'assurait pas de dépenses sociales...

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[1] Je conseille au passage l'adaptation cinématographique de Michael Curtiz (Les aventures de Robin des Bois) sortie en 1938 avec Errol Flynn dans le rôle titre.
[2] Il n'en est pas fait mention dans l'histoire. Il s'agit d'une invention tardive.
[3] La première croisade commence en 1095 et se termine avec la prise de Jérusalem en 1099. Parmi les chefs qui la mènent on peut relever Godefroy de Bouillon (1058-1100) ou Raymond IV de Toulouse. Le premier sera nommé Avoué du Saint-Sépulcre, refusant le titre de Roi de Jérusalem.
[4] Saladin (vers 1138-1193). Ce chef arabe réussit à unifier le Proche Orient et à réduire la présence des nations européennes en Terre Sainte.
[5] Les deux rois se réunissent à Gisors en janvier 1188.
[6] Une fois revenue de la croisade, Philippe II tentera de maintenir cette taxe.
[7] Le marc est une unité de mesure valant une demi-livre soit huit onces (environ 244.75 grammes, une once valant 30,594 grammes). Cette unité donna son nom au Mark, la monnaie allemande. 5 000 marcs représentaient 1 223.75 kilogrammes d'argent.
[8] Notamment la province de l'Ecosse.
[9] Loxley est un petit village du comté du Warwickshire.
[10] Le prix de vente était de  25 000 marcs d'argent. Encore aujourd'hui, des descendants de l'ordre sont encore établis : l'ordre souverain militaire hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem, de Rhodes et de Malte.
[11] Aliénor d'Aquitaine (1137-1204). Elle fut mariée en premières noces au roi franc Louis VII puis au roi d'Angleterre Henri II Plantagenêt. Elle est inhumée à l'Abbaye de Fontevraud dans le Maine-et-Loire où son gisant est encore visité aujourd'hui.
[12] Finalement le complot échoua.
[13] Henri VI (1165-1197) est le fis de Frédéric Barberousse, qui participa un temps à la troisième croisade avant de se retirer.
[14] Plus de 36 tonnes d'argent... Soit environ 20 millions d'euros au cours actuel du métal...
[15] Et ce malgré son âge. Elle demandera aussi à Richard de pardonner à son frère Jean.
[16] Il nommera Jean comme héritier.
[17] Notamment la Normandie. La preuve de l'affrontement entre Philippe et Richard est encore observable de nos jours : de nombreuses forteresses ont jailli du sol en quelques années, la plus connue étant Château-Gaillard.
[18] Richard meurt lors du siège du château de Châlus. Il est enterré auprès de sa mère à Fontevraud. Jean lui succède.
[19] Preuve de son peu d'engagement pour le pays, Richard ne parlait pas anglais. Il n'avait d'ailleurs pas la réputation d'être un bon monarque au contraire de son frère Jean. Le titre de ce dernier vient du fait qu'il était trop jeune pour posséder des terres à la mort de son père Henri II.
[20] Chiffres vérifiables à ce lien.

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