Richesses et échanges

Pour bon nombre de gens, il est inconcevable que les emplois de l'industrie cessent d'exister. Après tout, c'est ce secteur qui fabrique les biens que nous consommons tous les jours. Leur disparition et plus généralement, la baisse du poids du secondaire combiné à l'accroissement du poids du secteur des services dans la balance économique des nations occidentales, est vue comme un déclin. On a alors droit aux slogans tous plus démagogiques les uns que les autres : "on ne produit plus rien en France", "il faut réindustrialiser le pays" ou encore "acheter français" [1].

Pour montrer qu'ils sont à l'écoute des attentes de la population - et surtout par électoralisme - les gouvernements font des pieds et des mains pour sauver ces emplois industriels à coup de niches fiscales ou de subventions en tout genre [2]. Pourtant en repoussant l’inéluctable, ils ne font en réalité qu'aggraver la situation existante. Mais revenons au début. Pourquoi est-ce que l'emploi industriel diminue ?

Gain de productivité


Commençons par remonter le temps de quelques décennies. Imaginez que pour fonctionner une usine doive déplacer de lourdes charges d'un entrepôt jusqu'à ses chaînes de production. Pour accomplir cette tâche, elle a engagé six hommes à temps plein. Souvent mal payé, ce travail est dur, voire dangereux. Qui plus est, les capacités de production sont limitées par ces déplacements (apport en matière première d'une machine par exemple). Certains diront que la phase de transport donne du travail à six personnes. Aujourd'hui, si une situation comparable se présentait, un seul homme, avec un chariot élévateur serait suffisant pour accomplir le même travail voire mieux [3]. Dans notre cas, c'est l'arrivée de la machine qui a permis de faire un gain significatif de productivité. Conséquence : le travail est effectué plus rapidement et pour un coût inférieur - à ressources initiales équivalentes -, ce dernier paramètre étant apprécié par l'acheteur. Les gains de productivité ont aussi un impact sur les salaires qui, dès lors, augmentent. 

En prenant connaissance de ce changement, le premier socialiste venu vous dira que cinq personnes ont perdu leur emploi, que la quantité de travail diminue d'un côté tandis que les profits s'accumulent de l'autre. Pour rétablir l'équilibre, l'entreprise devrait réduire la part de travail du manutentionnaire pour garder les six emplois, rognant sur les gains obtenus. Ce faisant, ils commettent une erreur de raisonnement. Ce qu'il faut comprendre, en fait, c'est que les cinq personnes sont désormais disponibles pour prendre un autre emploi. Que leurs compétences seront utilisées ailleurs, comme pour concevoir, fabriquer, vendre, entretenir ou encore former le salarié pour piloter le nouvel équipement, par exemple. Et contrairement au travail de manœuvre, ces emplois sont mieux rémunérés car ils supposent une création de valeur plus importante.

Une réalité sans cesse niée


Cet exemple peut être généralisé à tous les secteurs de l'industrie, des plus simples au plus complexes. Le marché évolue et nos habitudes de vie changent. De fait, nous consommons aujourd'hui proportionnellement plus de services que par le passé. D'ailleurs si vous revenez à l'exemple, cela ne vous aura pas échappé que les nouveaux emplois créés ont déplacé le centre de gravité de l'économie dans le secteur tertiaire : concevoir les plans de l'engin, le vendre... Et ils n'existaient pas avant le saut technologique.

Méprisant cette réalité, nos représentants politiques refusant de prendre en compte ses arguments. Pour eux il n'y a qu'un seul ennemi, une seule raison à cette baisse de l'emploi industriel : la mondialisation des échanges qui a entraîné la délocalisation des sites de production - ce sont les pauvres qui viennent vous prendre vos emplois - vers les pays à bas coût comme la Chine. Pourtant, au regard de l'histoire, ce reflux du nombre d'emplois dans l'industrie a toujours existé : la tendance est quasi linéaire depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, c'est-à-dire bien avant que le commerce soit autant globalisé.

Leur réaction est alors immédiate : il faut rétablir les frontières douanières comme autrefois et introduire une dose de protectionnisme pour les secteurs jugés stratégiques [4]. Encore une fois le raisonnement est tronqué car nos dirigeants oublient d'inclure un élément important : nos besoins se sont diversifiés et sont plus nombreux. Et ce changement de comportement nécessite de diversifier les compétences à mettre en oeuvre pour les satisfaire. Or il faut garder à l'esprit qu'il est plus efficace, pour un groupe humain, de diviser le travail, organisation qui consiste pour une personne à se spécialiser dans un domaine plutôt que de les embrasser tous. Dès lors, restreindre la zone géographique dans laquelle s'effectue cette division du travail revient à l'appauvrir : le partage de ressources, d'informations et de compétences ne sera plus aussi efficace.

Cette extension de la surface du marché se matérialise aussi par les délocalisations. Mais à bien y réfléchir, on note que ce phénomène a lui aussi toujours existé, à l'échelle d'une ville, d'une région ou d'un pays. Le développement des transports maritimes notamment - l'invention du conteneur a beaucoup apporté dans ce cas - l'a juste étendu à l'échelle mondiale, en augmentant les échanges entre les pays et donc les individus.

Échanges et création de richesses


Et qui dit plus d'échanges, dit augmentation des richesses produites. Il ne faut pas perdre de vue, ici, que la croissance n'est pas tant une mesure des biens ou des services produits que des échanges qui peuvent se créer. Dès lors aucune limite n'existe si ce n'est notre imagination. Quant à la contrainte des ressources énergétiques, dictée par les Malthusiens, elle s'effondre quand on sait que l'homme est capable d'en inventer de nouvelles : énergie des vagues, biocarburants de troisième génération [5], thorium [6],... Nous n'avons donc pas fini d'exploiter toute le potentiel de notre environnement [7].

En outre, quand deux entités décident d'échanger quelque chose entre elles, elles en sortent toutes les deux gagnantes : les pays pauvres créent des emplois et nous, nous avons accès à des produits à des prix bien plus bas. Contrairement à ce qu'essaient de nous faire croire nos élites politiciennes, aucune personne n'est censé s'appauvrir tandis qu'une autre s'enrichit : il n'y a donc pas de perdant. Excepté si une troisième entité vient semer la zizanie en empêchant le contrat de se nouer librement. Ainsi, quand il s'interpose à la création de nouveaux liens profitables, l'état dégrade la situation et provoque chômage, pauvreté voire de pénurie. C'est la décroissance qui s'installe alors.

Pourtant au lieu de s’interroger sur le conservatisme de leurs décisions, les états occidentaux accablent ce qui est à l'origine de la production de richesses, au risque de le déséquilibrer voire de l'arrêter. Plus inquiétant, des tensions peuvent apparaître entre les pays quand ils s'avèrent que certains tentent de changer les règles du jeu pour des questions électorales ou du fait de pressions en provenance de certaines corporations, choisissant d'ignorer la réalité, aggravant leurs crises internes. Jusqu'à la rupture totale du système...

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[1] Discours entendus régulièrement. Rappelons-nous qu'Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, est un farouche partisan de la démondialisation.
[2] L'exemple de l'usine Arcelor-Mittal à Florange est représentative de ce type de politique.
[3] A noter que certains entrepôts sont aujourd'hui totalement automatisés, notamment dans les zones portuaires.
[4] L'énergie, les technologies de pointe,...
[5] Les biocarburants de troisième génération sont produits à partir de micro-algues. Ils ne mettent donc pas en danger approvisionnement en produits agricoles.
[6] Le thorium pourrait être utilisé comme alternative à l'uranium dans l'industrie nucléaire. Plus abondant dans l'écorce terrestre, il produit aussi moins de déchets.
[7] Ce n'est pas une raison pour l'endommager, hein.

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