This is war !

Le pays venait d'entrer en guerre. Pourtant, jusqu'au dernier moment, tout le monde avait espéré qu'une solution serait trouvée pour éviter le conflit. Mais il semblait que l’escalade de ces dernières semaines se soit révélé irréversible, malgré de longues négociations entre les deux états.

Alors que les premiers ordres de bataille étaient envoyés aux troupes déjà déployées à la frontière entre les deux nations, et que les manœuvres de l'ennemi commençaient déjà, le président et le cabinet ministériel échangeaient sur la meilleure manière de sécuriser l'approvisionnement en matériel, en pétrole - le pays ne disposaient pas de réserves - voire en nourriture. Il ne faisait en effet aucun doute que le nord-est du pays, une région essentiellement agricole serait touchée en premier. L'armée avait d'ailleurs déjà procédé à l'évacuation des populations civiles environnantes quand l'imminence du conflit ne faisait plus aucun doute. Au moins, des morts seront évitées de ce côté-là.

Les derniers détails étaient en train d'être réglé par téléphone. Pour l'instant tout allait pour le mieux et les alliées occidentaux nous soutiennent, se disait le président pendant la réunion. Pourtant malgré les garanties qu'il venait d'obtenir, le président restait anxieux. il y avait en effet une clause dans l'accord sur l'aide matérielle qui l'avait fait hésiter. Ô pas longtemps, non, juste quelques instants, mais il savait qu'à court terme, elle poserait un problème.

Le nerf de la guerre


10 tonnes d'or par livraison, c'était le chiffre et il tournait dans sa tête. Un rapide calcul lui avait permis d'estimer sa marche de manœuvre à 140 jours, peut-être 150 avec de la chance, c'est-à-dire si on restait sur une base d'une livraison tous les deux jours. Le problème c'est qu'il n'avait aucune idée de la durée du conflit. D'ailleurs, personne ne peut prévoir combien de temps cela pouvait durer. Après tout, son nouvel ennemi avait des forces militaires équivalentes et bénéficiait lui aussi du soutien de quelques pays. Il semblait donc que l'on s'engage dans un conflit, long et coûteux. Et celui qui pourrait le plus longtemps assurer un approvisionnement à ses troupes en serait très probablement le vainqueur.

Heureusement qu'il avait pris soin de mettre les réserves d'or du pays à l'abri comme le lui avait conseillé le ministre des finances il y a quelques mois. Sinon c'en était fini. Il fallait absolument augmenter les chances de victoire finale. Plusieurs options se présentaient à lui et il allait les examiner une par une. Tout en haut de la liste, il pouvait et allait exiger la saisie - sans compensation aucune - de toutes les réserves d'or détenues par des entités privées, y compris celles situées à l'étranger. D'après les estimations de ses conseillers, cela pouvait rapporter entre 150 et peut-être 200 tonnes d'or en quelques jours. Bien évidemment, les sociétés - essentiellement des banques - et les personnes concernées ne seront certainement pas d'accord avec cette mesure. Leur propriété privée était bafouée. C'était de l'extorsion même. Mais le président avait déjà trouvé la parade et savait comment leur faire entendre raison : sans l'armée, ils n'avaient aucun moyen de survivre. Cela devrait achever de les convaincre.

Dans un deuxième temps, il pensait pouvoir vendre quelques "bijoux de famille", Autrement dit, des possessions ou participations de l'état dans des entreprises. Cette disposition devrait permettre à son gouvernement de tenir quelques jours ou semaines supplémentaires. Après, il resterait bien quelques œuvres d'art que les musées du pays avaient pris mis à l'abri dans d'immenses coffres forts. Les ultimes cartouches en somme, au sens propre comme au sens figuré.

L'encre philosophale


Mais toutes ces solutions ne pouvaient être que temporaires. Pour tenir le siège aussi longtemps que possible, il lui fallait trouver une alternative viable. Malheureusement, on ne pouvait pas fabriquer d'or et les ressources de cet élément chimique rare était limitées. D'ailleurs le sous-sol du pays n'en avait pas, à moins d'investir d'énormes sommes pour creuser profondément. Et au prix actuel de l'or - 1 200 gourdes [1] l'once troy [2] - l'exploitation aurait été un gouffre financier. Donc à moins de posséder la pierre philosophale, il n'y avait pas de solution. A moins que.

Si l'on ne pouvait pas fabriquer le précieux métal jaune à proprement parler, on pouvait, en revanche, imprimer des billets et, avec eux, acheter de l'or. Car en fin de compte, produire des billets de banque ne coûtait presque rien, sinon un peu d'encre et de papier, produits qu'il était facile de se procurer à l'étranger. Pour rassurer nos alliés se disait le président, la Banque Nationale n'aura qu'à garantir ces billets contre de l'or et ce à tout moment.

Dès lors, cette solution paraissait idéale puisqu'elle permettait de soutenir indéfiniment l'effort de guerre tant que les alliés faisaient confiance à  la monnaie et ne remettait pas en cause sa valeur. Le président et le ministre des finances convoquèrent donc le président de la banque nationale pour lui expliquer le plan. L'homme obtempéra sans broncher et allait faire apposer sur la prochaine série de billets de banque du pays la mention suivante : "payable sur demande au porteur en monnaie-or" [3]. Par cette assertion, la banque s'engageait à échanger chaque billet contre son équivalent en or. Le pays par cette décision venait de réintroduire l'étalon métallique or. Une première depuis 20 ans.

Il ne faisait aucun doute que le président voulait émettre plus de monnaie papier que le pays ne possédait en réserves d'or. Au cas où tous les pays demandaient la contrepartie en or, le pays se retrouverait dans l'impossibilité de faire face à la demande et devrait soit faire faillite, soit suspendre l'étalon or et dévaluer sa monnaie. Cependant, les finances du pays étaient encore bonnes et malgré la guerre qui s'annonçait, le ministre des finances estimait que cette possibilité était faible. Pas d'inquiétude donc à moyen terme, d'autant plus que leurs alliés ne connaissaient pas le niveau du stock national...

Épilogue


Perdue. La guerre était définitivement perdue. Rien n'y avait fait. Les alliés avaient rompu depuis plus d'un mois tout approvisionnement en matériel quand ils avaient compris que la valeur de la monnaie était bien en deçà de la réalité : aucun pays n'en voulait plus. Un à un, les pays avaient demandé la conversion de leurs avoirs papiers en or, et en quelques jours, quelques heures mêmes, les réserves s'étaient vidées. Il n'y avait plus rien dans l'immense coffre-fort. Jamais s'étaient-ils alors dits pour eux-mêmes ils n'auraient dû accepter les conditions du président. dans son bunker, ce dernier, acculé, venait de transmettre un dernier message à leur ennemi, signifiant que son pays capitulait. La raison avait eu raison de ses mensonges... Au moins en face, ils comprendraient sa position. Mais eux avaient eu la sagesse de ne pas adosser leur monnaie sur l'or...

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[1] La gourde est la monnaie nationale de la république d'Haïti.
[2] L'once troy vaut 31.1035 grammes.
[3] Cette mention était - dans l'esprit - celle qui fut jadis apposée sur les billets verts américains.

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