Le hockey, sport le plus populaire à Sochi

J'évoquais, il y a quelques jours, ma déception quant à la mauvaise couverture médiatique du tournoi olympique de hockey sur glace par France Télévisions, qui dispose du monopole de diffusion des épreuves. J'ajoutais, à cette occasion, que la popularité de ce sport était bien mal récompensée et, qu'à cet égard, il aurait mérité d'être plus amplement retransmis.

En parcourant les informations du jour, je m'aperçois que Twitter a publié des statistiques sur le nombre de messages envoyés concernant les Jeux Olympiques de Sochi, si tant est qu'ils soient affublés du hashtag #Sochi2014. Comme on s'y attend, des pics d'envois ont été observés à certains moments clés - qualification, médaille d'or, etc. - de la compétition. Twitter a comptabilisé les cinq événements les plus commentés par les utilisateurs du réseau. Je vous laisse en prendre connaissance.
Au regard de ces données, il s'avère que quatre des cinq événements les plus plébiscités, par les internautes concernent des matches de hockey sur glace. Et cela ne doit rien au hasard. La participation des stars de la Ligue Nationale nord-américaine, ainsi que l'engouement de la Russie pour ce sport a attiré le regard des téléspectateurs du monde entier, qu'ils soient amateurs du sport ou non [1]. La France n'échappe pas à la règle, et j'ai pu constater par moi-même, que de nombreuses personnes se désolaient de ne pas pouvoir suivre certaines parties. Une raison de plus d'inciter France Télévisions - ou tout autre chaîne d'ailleurs - à revoir son dispositif de retransmission pour la prochaine échéance olympique.

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[1] Dont moi, mais cela ne vous étonnera certainement pas...

On n'a pas peur de Big Brother

Ce matin, Orange et Terrafemina publiaient un sondage dans lequel on questionnait les Français au sujet de la surveillance des communications électroniques. Il en ressort qu'un majorité ne se fait pas d'illusions : ils savant que leurs messages, leurs emails ou leurs appels téléphoniques peuvent être espionnés par les services de renseignements de par le monde, mais il semble, néanmoins, qu'ils se sont résignés à protester contre cet état de faits [1].

Deuxième point inquiétant de cette étude, 59% des Français pensent que la surveillance des communications permet d'améliorer la lutte contre la criminalité et autres terrorismes dormants, même si cela porte atteinte à leurs libertés fondamentales, notamment ici, le droit à une vie privée. Pour une majorité, ce type d'intervention de l'état peut être justifié au nom de la sécurité due à tout un chacun. Cette réponse me rappelle une phrase de Benjamin Franklin, l'un des acteurs de la Révolution Américaine qui disait très justement la chose suivante "Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l'une ni l'autre, et finit par perdre les deux".

Laisser un état devenir Big Brother, lui abandonner de plus en plus de nos libertés, cautionner les paroles de nos dirigeants politiques - Manuel Valls en tête, comme je le rappelais il y a quelques temps - et les décisions du Parlement auxquels ils sont associés - souvenez-vous du récent vote de l’article 13 de la Loi de Programmation Militaire, qui autorise certains services de sécurité à accéder à des données facilitant la géolocalisation, et ce sans l'accord d'un juge -, n'est pas de bonne augure dans un pays qui est régulièrement pointé du doigt pour s'asseoir de plus en plus sur les libertés individuelles, pourtant garanties par la constitution. Des immiscions de plus en plus importantes qui, si la population n'y prend pas garde, se généraliseront à d'autres secteurs de la vie de tous les jours, ce qui .

Aujourd'hui, il semble que tous garde-fous législatifs, normalement institués pour empêcher cela, tombent les uns après les autres sous les coups d’un exécutif omnipotent, rendant les individus vulnérables et à la merci d'un état toujours plus vorace. Paradoxalement, cher lecteur, ce dernier est très certainement plus dangereux que les "marchés" qu'il passe son temps à dénoncer. La sensation de sécurité qu'il tente d'inspirer est trompeuse et la sempiternelle justification "c'est pour votre bien qu'on procède ainsi", n'est en rien rassurante pour nous.

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[1] Les résultats de l'enquête sont disponibles à ce lien.

Pénalité à France Télévisions

J'aime le hockey sur glace. Plus même, j'adore ce sport. A cet égard, le tournoi olympique de Sochi, qui a vu défiler les meilleures équipes - Russie, Suède, Finlande, Etats-Unis ou encore Canada - et les plus grands joueurs de la planète, qu'ils évoluent en KHL, la ligue professionnelle russe, ou en LNH, la Ligue Nationale nord-américaine - qui, chose notable, avait une nouvelle fois fait l'effort de suspendre les matches de la saison régulière pour faire le déplacement en Europe, montrant par là toute la considération qu'elle porte à cette grande compétition - aurait dû m’enthousiasmer au plus au point. Il n'en a rien été. La mauvaise diffusion des rencontres a gâché le spectacle, qui, en termes de qualité de jeu, est pourtant à ranger au même niveau que l'on peut admirer lors de la Coupe du Monde de football ou de la compétition olympique de basket-ball.

En France, la diffusion des épreuves échoit à France Télévision, qui en a acquis le monopole depuis maintenant plusieurs éditions maintenant. Basculant d'un site à l'autre, les journalistes tentent de couvrir l'ensemble des épreuves de cette olympiade. L'exercice - difficile en soi - devient périlleux quand une chaîne seulement est chargée d'assurer tout le travail. On passe ainsi du ski de fond au patinage de vitesse en quelques secondes avant de revenir au half-pipe pour quelques instants. Résultat, les amateurs de chacune des disciplines resprésentées, restent sur leur faim, frustrés et déçus de voir leur épreuve favorite remplacée par une autre. Impossible, ou presque pour eux, d'en suivre une en entier. En plus de ces coupures intempestives, un résumé des meilleurs - et des pires - moments de la journée, ne cesse d'être rediffusé, alors même que des compétions se déroulent en direct [1]. Ajoutez à cela des commentaires plus que navrants de la part des journalistes de la maison et vous manquez plusieurs moments cruciaux de la quinzaine. 

Et c'est encore plus vrai pour le hockey, tant tout peut basculer très rapidement dans ce sport. Bien sûr, je peux comprendre que tous les matches - notamment ceux des poules [2] - ne soient pas diffusés dans leur totalité. Mais pour les parties plus importantes, telles la finale féminine ou les demi-finales hommes par exemple, j'avoue mon incrédulité. Imaginez donc que l'on ne diffuse pas des rencontres équivalentes dans une compétition de football ou de rugby. Impensable, non ? C'est pourtant le traitement que réserve France Télévisions à ce sport, qui même s'il n'a pas beaucoup d'écho en France, représente un bon divertissement et un moyen non négligeable de le promouvoir auprès des plus jeunes.

La seule alternative, pour ceux qui ont le courage, consiste à écouter les directs - dépourvus de commentaires - sur internet quand ceux-ci sont disponibles [3]. Il semble en effet que le service public décide de faire un peu ce qu'il veut avec les droits de diffusion, bloquant certains canaux, interdisant, de fait, au spectateur - qui est aussi un contributeur puisqu'il paie sa redevance - de regarder une épreuve. Quelque peu scandaleux.

La couverture médiatique mise en place par France Télévisions pour ces Jeux est, à cet égard, bien en deçà de celle disponible dans d'autres pays. Petite revue d'effectifs. Aux Etats-Unis par exemple, le diffuseur officiel NBC s'appuie sur six chaînes pour assurer une bonne retransmission des épreuves pour un total de 1500 heures de direct [4]. En Grande Bretagne, la BBC propose, quant à elle, plus de 2500 heures de diffusion [5]. Enfin, au Canada, cinq chaînes se partagent la retransmission des épreuves, ce qui assure au spectateur un large choix. Et j'en passe. Pour le bien du sport, il serait bon qu'un système équivalent existe en France, soit par une mise en concurrence des chaînes de télévision - Eurosport, BeIN Sports,... - soit en améliorant la qualité de l'offre proposée par l'actuel diffuseur - même si j'ai peu d'espoir de ce coté-là -, tout cela afin de répondre plus efficacement aux attentes du plus grand nombre de spectateurs, ce qui de toute évidence n'est pas le cas aujourd'hui. Un point noir que même les belles médailles françaises n'arriveront pas à faire oublier.

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[1] Encore la preuve au moment où j'écris ces quelques lignes. Les deux premiers buts de la petite finale ne sont pas diffusés.
[2] Même si celui opposant la Russie aux Etats-Unis l'a été.
[3] J'ai pu me rendre compte à plusieurs reprises que les directs n'étaient pas disponibles dans explication aucune.
[4] D'après le Washington Post (lien).
[5] D'après les informations disponibles sur le site officiel des Jeux Olympiques (lien).

Réformer la fonction publique en France ?

L'INSEE, vient de publier son tableau de l'économie française, un document annuel qui renferme tout un tas de chiffres sur l'organisation du pays. Ce matin, le journal Le Figaro en publiait quelques extraits [1]. Une statistique a particulièrement retenu mon attention : 10.9 %. C'est l'augmentation de l'emploi dans la fonction publique française - notamment territoriale - entre 2000 et 2011. Aujourd'hui, les trois fonctions publiques - d'état, territoriale donc et hospitalière - emploient 5.4 millions de personnes, soit 77 agents pour 1000 habitants. La France dépasse de loin des pays comme l'Allemagne qui dispose d'environ 50 fonctionnaires pour 1000 habitants ou bien le Japon qui n'en a que 40. En proportion, l'emploi public représente 19.9% de l'emploi en France. Ce chiffre nous place au-dessus de la moyenne de l'OCDE, qui se monte à 15.5% [2]. Et encore, on ne prend pas en compte ici les 134 000 emplois aidés - comme les fameux emplois d'avenir -, non viables sur le long terme, bien que défendus par les gouvernements de droite comme de gauche. Avec la volonté de l'actuelle majorité d'embaucher du personnel nouveau - notamment dans l'éducation - on peut penser que ces chiffres vont continuer de croître dans l'avenir. 

Les entreprises d'état, de leur côté, emploient près de 800 000 personnes, dont une bonne majorité à EDF, la SNCF et à La Poste. Ces agents, outre la sécurité de leur emploi, bénéficient d'avantages à faire rougir le premier salarié du privé venu. Quelques exemples. Le personnel d'EDF ne paie que 10% de sa facture d'électricité quand dans le même temps, les employés de la SNCF ont le droit à des rabais sur les billets pour presque toute leur famille []. Une série de privilèges, vieux de plusieurs décennies, qu'il est impossible de remettre en cause au nom du sacro-saint contrat social entre la direction et les salariés, ou plutôt les syndicats qui s'empressent de défendre ces droits acquis, un héritage des nationalisations.

Ce fonctionnement de la fonction publique en France énerve de plus en plus la population, d'autant qu'elle constate une dégradation de la qualité de service alors que les moyens déployés sont toujours d'importance. Pourtant, il se semble pas question, pour le pouvoir exécutif, d'évaluer l'efficacité des différentes administrations. Alors que le poids de l'état se fait toujours plus grand dans notre vie de tous les jours, que le pays connait des problèmes de chômages, que la croissance est atone depuis quelques temps déjà, ne serait-il pas opportun de la part de nos élites de reconsidérer sa place dans la société. Des pistes sont déjà connues : fusion de certains services, suppression des doublons... D'autres sont à l'étude comme déléguer au privé certains secteurs de l'économie telle la culture ou le logement.

Des politiques similaires ont été mises en places au Canada ou en Suède dans les années 90 et plus récemment au Royaume-Uni, après l'élection du conservateur David Cameron. Malgré les réformes profondes menées dans ces administrations publiques - diminution du nombre de fonctionnaires, privatisations -, le chômage est moins élevé qu'il ne l'est en France et surtout, la croissance est repartie à la hausse, tout comme les recettes fiscales. Contrairement à la France, ces pays ont choisi de faire porter les efforts sur des économies structurelles et non sur des hausses d'impôts, qui présentent le désavantage d'assécher les canaux de l'investissement et de décourager les individus d'entreprendre. Si l'on ajoute à cette instabilité fiscale, une instabilité législative qui provoque l'émergence d'agences, de commissions toujours plus nombreuses et leur enchevêtrement de décisions, de normes, de paperasse à remplir, on complique le retour de la prospérité économique

De fait, une révolution intellectuelle est nécessaire en France. Un bouleversement de nos mentalités. Chose qui n'interviendra que si l'état prend les bonnes décisions ou incitations et envoie les bons signaux.

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[1] Données disponibles à ce lien.
[2] On atteint plus de 30% en Norvège, pays beaucoup moins peuplé.
[3] Privilèges dénoncés par la Cour des Comptes (lien).

Lake Placid 1980, un miracle sur glace

Entre 1955 et 1991, l'Union Soviétique a affronté soixante-et-une fois les Etats-Unis d'Amérique dans des matches de hockey sur glace. Le bilan est sans appel en faveur de l'équipe rouge :  cinquante-cinq victoires pour seulement cinq défaites et un match nul [1].

La première victoire américaine intervient lors des Jeux Olympiques de Squaw Valley en 1960, lors de la ronde des médailles. Sur leur glace, les Américains battent les Soviétiques 3 buts à 2 et remporteront quelques jours plus tard la médaille d'or devant le Canada. Il faudra attendre vingt ans - et 32 matches - pour que l'exploit se répète à nouveau. Une disette quasiment sans égale dans le sport international. Connue sous le nom de "Miracle sur Glace" [2], cette rencontre, qui se déroule à Lake Placid lors des Jeux Olympiques d'hiver de 1980, est restée dans l'histoire, tant l'intensité de jeu entre les deux équipes avait atteint son point culminant, faisant écho à la dégradation des relations entre l'ouest et l'est. Par la suite, les Américains attendront encore dix années avant de battre à nouveau l'équipe soviétique [3].

Une équipe imbattable


Depuis les années 60, l'équipe soviétique de hockey sur glace est considérée comme l'une des meilleures - si ce n'est la meilleure - au monde. Au niveau international, elle a remporté quatre médailles d'or olympiques de suite [4] - 1964, 1968, 1972 et 1976 - et elle collectionne aussi les titres mondiaux [5]. A l'approche des Jeux de 1980, elle fait donc figure de favorite. Il faut dire que depuis sa troisième place de 1960, elle n'a concédé qu'une seule défaite et un match nul en vingt-neuf parties lors des tournois olympiques[6]. A l'orée de l'édition 1980, seule la Tchécoslovaquie semble en mesure de lui contester le titre [7].

A l'époque, l'URSS compte dans ses rangs des joueurs de renom : le gardien Vladislav Tretyak - considéré, encore aujourd'hui comme, l'un des meilleurs de l'histoire de ce sport -, les attaquants Boris Mikhaïlov - également capitaine de l'équipe - et Valeri Kharlamov ou encore le défenseur Viacheslav Fetisov. Tous membres de l'Armée rouge - ils jouaient pour le célèbre club du HK CSKA à Moscou, maints fois couronné au niveau national -, ces joueurs ont le statut d'amateurs et s'entraînent dans des conditions optimales, les installations de hockey sur glace à l'est n'ayant alors rien à envier à celles de l'ouest. Pour la plupart, ils évoluent ensemble depuis plus d'une décennie, ce qui leur a donné des automatismes et un jeu rapide et précis. Intraitable sur la glace, ils ont pris l'habitude de surclasser certains de leurs adversaires en leur infligeant des scores à deux chiffres, les Etats-Unis n'échappant pas d'ailleurs à quelques corrections [8].

Quant au Canada, la nation reine, puisque c'est dans ce pays que le hockey moderne est né, il délaissé les compétitions internationales, considérant que le niveau de la célèbre Ligue Nationale de Hockey, la LNH [9], est plus élevé que celui proposé par les Soviétiques. Le statut particulier des Jeux Olympiques, où seuls des joueurs amateurs peuvent être alignés,contrarient aussi les intérêts canadiens, qui ne peut pas utiliser les joueurs professionnels de la LNH. Et les championnats du monde, compétition annuelle, du fait du chevauchement des calendriers n'autorisent pas tous les joueurs de la Ligue d'y participer. Pour véritablement affronter les Soviétiques à armes égales, le Canada a organisé avec eux deux séries de matches en 1972 et 1974, pour jauger leur niveau. Vainqueurs de justesse de la première [10] et défaits dans la seconde [11], les Canadiens ont compris qu'une équipe d'amateurs non préparés, n'avait aucune chance contre les rouges. En 1976, le pays à la feuille d'érable décide donc de ne pas envoyer d'équipe de hockey aux Jeux Olympiques, afin de protester contre la trop grande différence de niveau qui résulte, selon eux, du caractère professionnel des joueurs soviétiques. Dès lors et jusqu'au années 90, le Canada ne prendra à cœur qu'une seul compétition, la Canada Cup qui réunit tous les quatre ans environ, les six meilleures nations du hockey mondial [12].

Parti de rien


Mais revenons aux Etats-Unis. En 1979, la dernière campagne aux championnats du monde a été une nouvelle désillusion avec une septième place. Pas de quoi espérer un bon résultat aux prochains Jeux qui se déroulent moins d'un an plus tard. Lors de cette compétition, le joueur canadien Marcel Dionne [13] fut d'ailleurs très critique sur le style de jeu des nords-américains, incapables d'après lui de rivaliser avec ses homologues européens : "Seuls les médias peuvent changer les choses chez nous. Dites-leur comment les équipes européennes jouant avec tant de talent. Dites-leur qu'elles jouent sans se battre. Faites-les se rendre compte que si un gamin ne sait pas patiner et tirer, mais juste se battre, il ne doit pas être autorisé à être un hockeyeur. Il y a tant d'idiots qui dirigent le hockey, si bêtes, si bêtes. Dites-leur" [14].

Alors que les Jeux de Lake Placid se profilent, la fédération de hockey amateur américaine se met en quête d'un entraîneur avec l'objectif de bien figurer dans le tournoi. Pour les dirigeants, la médaille et a fortiori le titre, paraissent inaccessibles. A l'été 79, ils jettent leur dévolu sur Herb Brooks, qui entraîne l'équipe de hockey de l'Université du Minnesota [15], les Golden Gophers, vainqueurs de trois championnats universitaires depuis 1974. L'homme a aussi une solide expérience de joueur : évincé à quelques jours du début de la campagne victorieuse des Jeux de 1960 [16], il a participé ensuite à ceux de 1964 et 1968 et a remporté une médaille de bronze aux mondiaux de 1962. Retraité, il devient entraîneur et acquiert la réputation d'être très exigeant et de pousser son équipe à l'excellence.

Ayant carte blanche, il choisit lui-même les membres de son équipe, pour la plupart issus des Gophers. Il recrute aussi chez leurs plus ardents adversaires, les Terriers de l'Université de Boston [17]. La rivalité entre les anciens joueurs rivaux ne facilitent pas les premiers contacts plutôt froids.

Une préparation difficile


L'équipe constituée [18], Brooks commence l'entraînement à proprement parler. Comme Dionne, il avait fait le constat que les équipes européennes étaient plus disciplinées, plus rapides et plus mobiles que celles de la Ligue Nationale de Hockey, défaut dont héritaient malheureusement les sélections nationales. Selon lui, ces carences expliquent, en grande partie, les difficultés que les joueurs ont rencontré en affrontant les Soviétiques lors de la Challenge Cup en février 1979 [19]. Imposant leur physique au lieu de jouer le palet, ils ont vite été dépassés par la stratégie diabolique de leurs adversaires de l'est, bien plus adroits pour contrôler le palet et marquer. D'ailleurs le résultat ne s'est pas fait attendre. Après avoir remporté le premier match, les All Stars de la LNH s'inclinent dans les deux suivants, concédant, notamment ,une défaite 6 buts à 0 dans la dernière rencontre. Un camouflet. Plus même : une véritable leçon de hockey sur glace.

A l'opposé du jeu traditionnel défendu en Amérique du Nord, Brooks propose de développer un jeu plus rapide, plus technique comme celui de Soviétiques et de lui associer le physique typique du jeu des Canadiens. Une combinaison qu'il croit susceptible de déstabiliser la machine infernale soviétique.

La période précédant les Jeux est également perturbée par un regain de tensions et de conflits sur le plan international. D'une part, l'invasion soviétique en Afghanistan, très critiquée par le président américain Jimmy Carter, a tendu les relations avec les Soviétiques, qui menacent, un temps, de boycotter les Jeux. De l'autre côté, les Américains doivent aussi gérer la prise d'otages d'une partie du personnel de l'ambassade américaine à Téhéran, suite à la chute de leur allié, le Chah d'Iran. C'est donc dans ces conditions pour le moins difficiles que la compétition va avoir lieu en février 1980.

Campagne olympique


Trois jours avant la cérémonie d'ouverture, un dernier test se déroule sur la glace du Madison Square Garden à New-York et oppose pour la première fois depuis les championnats du monde 1978, Soviétiques et Américains [20]. Avant le début du match, Boris Mikhaïlov exhibe fièrement la Challenge Cup, remportée par son équipe un an plus tôt, dans cette même patinoire. Rapidement, les Américains sont débordés par le style de jeu des Soviétiques, qui dominent outrageusement la partie. Au final, les locaux encaissent 10 buts dont trois sont à mettre à l'actif de Vladimir Krutov [21]. La domination soviétique est totale. Herb Brooks et ses joueurs n'arrivent donc pas en pleine confiance à Lake Placid, d'autant que leur groupe est très relevé : ils devront en effet affronter la Tchécoslovaquie, la Suède ainsi que la redoutable Allemagne de l'Ouest. Seules la Roumanie et la Norvège paraissent accessibles à la jeune, et relativement peu expérimentée, équipe américaine.

Le premier match face à la Suède débute très mal. Dominés en première période, les Américains sont sévèrement sermonnés par Brooks pendant la pause et finissent par arracher le match nul avec un but à 27 secondes le fin de la rencontre. Suit une large victoire contre la Tchécoslovaquie, autant inattendue que salutaire afin de poursuivre l'aventure dans le tournoi olympique. Remotivée, l'équipe américaine parvient à remporter les trois dernières parties et termine en tête de son groupe. L'objectif affiché de se qualifier dans la ronde des médailles - un groupe dans lequel s'affronte les deux premiers de chaque poule du tour préliminaire - est atteint. Mieux, les Américains sortent invaincus, ce qui était inespéré. En plus des Etats-Unis, le groupe finaliste est constitué de l'Union Soviétique - qui a remporté ses cinq matches -, de la Suède et de la Finlande.

Un Miracle


Le premier match de ce tour final oppose le 22 février 1980 l'URSS aux Etats-Unis. A voir la manière dont les Soviétiques jouent, beaucoup, pour ne pas dire la totalité des spécialistes, voient les Américains perdre la partie. La veille du match, Dave Anderson, journaliste au New-York Times, écrit la chose suivante : "A moins que la glace ne fonde, ou que l'équipe américaine ou une une autre équipe ne réalise un miracle comme le fit la formation américaine en 1960, les Russes devraient gagner facilement la médaille d'or olympique pour la sixième fois en sept tournois" [22]. Autant dire que l'on donne pas cher de la peau de l'équipe nationale.

Le Field House, la salle qui accueille le match, est plein à craquer. Plus de 8000 personnes se sont ruées pour assister à une rencontre déjà historique. Les spectateurs, majoritairement américains font blocs derrière leur équipe me s'ils savent qu'obtenir la victoire relèvera de l'exploit. La partie débute à 17h00 heure locale et rapidement, les Soviétiques installent leur jeu. Après moins de 10 minutes écoulées, Krutov inscrit le premier but sur une déviation. Les Américains recollent au score cinq minutes plus tard sur un but de Schneider avant que Makarov ne redonne l'avantage à son équipe. Le match semble déjà plus équilibré que celui du Madison Square Garden, une quinzaine de jours plus tôt. Une seconde avant la fin de la premier période, Mark Johnson parvient, sur un palet mal renvoyé par Tretyak, à égaliser. Il y eut d'ailleurs un début de polémique à ce sujet, les Soviétiques déclarant que la période était terminée et que par conséquent le but n'aurait pas dû être accordé.

La deuxième période s'ouvre sur un coup de théâtre. Viktor Tikhonov [23], l'entraîneur soviétique décide de remplacer Tretyak par Vladimir Mychkine, le deuxième gardien russe qui avait fait ses preuves en 79 lors de la Challenge Cup. D'un côté comme de l'autre, personne ne comprend le revirement de Tikhonov, considéré comme le tournant de la rencontre. Il déclarera quelques années plus tard avoir fait ici "la plus grande erreur de sa carrière" [24]. Quoi qu'il en soit, ce changement ne perturbe pas l'attaque soviétique, qui marque un troisième but pendant cette période, sur un avantage numérique. Acculés, les Américains, ne parviennent pas à remettre le pied dans le match. Les Soviétique s'acheminent vers la victoire et probablement vers l'or.

Pourtant, les Américains profitent d'une pénalité, en milieu de troisième période, pour passer à l'offensive. Les Soviétiques défendent vigoureusement les buts de Mychkine, envoyant quelques joueurs américains dans la bande. Cependant, Johnson réussit à trouver une nouvelle fois l'ouverture et marque un troisième but, synonyme d'égalisation. Poussés par la foule, les Américains continuent de presser la défense soviétique et quelques secondes seulement après, Mike Eruzione marque un quatrième but, à moins de 10 minutes de la fin du match. Pour la première fois depuis longtemps, les Américains sont devant au score. Piqués au vif, les Soviétiques s'emparent du palais et tentent de reprendre l'avantage. Faisant feu de toute part, ils mitraillent littéralement le but de Craig qui effectue plusieurs arrêts décisifs. Contre toute attente, leurs adversaires tiennent le choc et se permettent même de mener quelques contre-attaques. Alors que les minutes s'écoulent, les rouges ne trouvent toujours pas la solution et ne sortent pas leur gardien pour faire entrer un sixième joueur de champ, comme le pensaient les Américains. Il semble que Tikhonov n'ait jamais cru à cette tactique, pourtant très souvent payante [25]. La fin du match approchant, la foule américaine commence à compter les secondes restantes après un dernier palet dégagé. Al Michaels qui commente l'événement pour la chaîne américaine ABC, en compagnie du gardien canadien Ken Dryden [26], reprit l'écho de la foule et égrena, lui aussi, les dernières secondes du match : "Eleven seconds, you've got ten seconds, the countdown going on right now! Morrow, up to Silk. Five seconds left in the game. Do you believe in miracles ? Yes !Les Soviétiques sont battus. Les Etats-Unis vennaient de créer l'exploit. Un Miracle.

Ce faisant, les hockeyeurs américains prennent une sérieuse option sur la médaille d'or. Ils l'empocheront définitivement deux jours plus tard, après une victoire sur la Finlande 4 buts à 2 [27]. Les Soviétiques battront, dans le même temps, les Suédois pour s'assurer l'argent.

Épilogue


Malgré cette défaite - qui ne fut pas mentionnée dans le journal d'état soviétique La Pravda - les Soviétiques continueront à dominer le hockey mondial dans les années 80 et ce jusqu'à la chute de l'URSS en 1991. Herb Brooks, quant à lui, poursuivra une longue carrière d'entraîneur jusqu'à sa mort dans un accident de voiture en 2003 [28]. Preuve de sa popularité et de la confiance qu'on lui porte, il sera à nouveau sur la banc américain en 2002, lors des Jeux de Salt Lake City, menant la sélection nationale à la médaille d'argent derrière le frère ennemi canadien, non sans avoir battu les Russes en demi-finale. Quelques jours plus tôt, l'équipe de 1980 au grand complet, avec à sa tête Mike Eruzione, son capitaine, fut chargé d'allumer la vasque olympique. Tout un symbole.

Plusieurs joueurs de l'équipe victorieuse intégreront ensuite la Ligue Nationale et y mèneront de brillantes carrières. Ken Morrow, par exemple, gagnera la même année, la Stanley Cup avec les Islanders de New-York, devenant l'un des rares joueurs à remporter l'or olympique et le championnat nord-américain la même année. Quelques joueurs soviétiques feront de même, une fois la guerre froide terminée, amenant le savoir-faire européen au sein des franchises américaines.

Passé à la postérité, ce match a été choisi comme le plus grand moment de sport du XXème siècle par le magazine Sports Illustrated. Le même journal décerna à l'équipe la récompense de "meilleur sportif de l'année 1980". Plus de vingt années plus tard, le match recevait encore des distinctions : la chaîne ESPN le consacra meilleur match de hockey pour la période 1979-2004. En 2008, à l'occasion de son centième anniversaire, la Fédération Internationale de Hockey sur Glace (IIHF) a élu cette rencontre "match du siècle".

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[1] D'après les statistiques fournies par le site chidlovski.net et disponibles à ce lien.
[2] Miracle on Ice en anglais. Walt Disney Pictures en a fait un film, Miracle, sorti en 2004 avec Kurt Russel dans le rôle de Herb Brooks.
[3] A l'occasion d'un match d'exhibition à Oakland le 21 juillet 1990.
[4] L'équipe avait aussi remporté l'or à Cortina d'Ampezzo en 1956.
[5] Treize titres glanés depuis 1954, auxquels on doit ajouter les titres mondiaux de 1956, 1964 et 1968 qui étaient confondes avec la compétition olympique.
[6] Défaite encaissée le 15 février 1968 - lors des Jeux de Grenoble - contre la Tchécoslovaquie, lors de la ronde des médailles. L'URSS avait perdu 5 buts à 4.
[7] La Tchécoslovaquie a remporté les titres 1972, 1977 et 1978.
[8] Faire une liste serait impossible. On peut retenir une défaite 17 buts à 2 lors des championnats du monde de 1969 par exemple, pour montrer à quel point les Soviétiques s'avèrent dominateurs.
[9] La ligue regroupe des franchises américaines et canadiennes. Parmi les plus connues - et les plus titrées -, on trouve les Canadiens de Montréal, les Bruins de Boston, les Red Wings de Detroit ou encore les Rangers de New-York.
[10] Baptisée Série du Siècle, la compétition se déroule sur huit matches, quatre au Canada et quatre en Russie. Elle est remportée par les Canadiens quatre victoires à trois et un match nul.
[11] Deux ans plus tard, les deux équipes se retrouvent. La série est remportée largement par les Soviétiques par quatre victoires, trois matches nuls et une seule défaite.
[12] La Canada Cup est une émanation des deux Séries du Siècle précédemment citées. Sur les cinq éditions, quatre reviennent au Canada (1976, 1984, 1987 et 1991) et une à l'URSS (1981). L'URSS tombé, elle fut remplacée par la World Cup pour deux éditions, 1996 et 2004.
[13] Marcel Dionne (1951-) est un joueur qui a évolué en LNH notamment chez les Red Wings de Detroit. Il a participé à la victoire canadienne à la Série du Siècle 1972 ainsi qu'à la Canada Cup 1976. Il connait donc bien le jeu des européens.
[14] Citation faite à un journaliste du Globe and Mail présent sur place.
[15] L'état du Minnesota est l'une des terres du hockey américain.
[16] La légende veut que Brooks après la victoire américaine soit allé voir l'entraîneur américain Jack Riley pour lui dire "Well, you must have made the right decision, you won" que l'on peut traduire par "Eh bien, on dirait que vous avez pris la bonne décision puis que vous avez gagné".
[17] Vainqueurs du championnats universitaire 1978.
[18] A l'origine, Brooks choisit 26 joueurs pour n'en garder que 20 pour la compétition olympique.
[19] Qui remplaçait cette année-là le fameux All-Star Game.
[20] Victoire soviétique 9 buts à 5.
[21] Ce que les connaisseurs nomment hat trick ou coup du chapeau en français.
[22] Traduit de l'anglais : "Unless the ice melts, or unless the United States team or another team performs a miracle, as did the American squad in 1960, the Russians are expected to easily win the Olympic gold medal for the sixth time in the last seven tournaments".
[23] Tikhonov remportera finalement trois médailles d'or : les deux premières avec la sélection soviétique et la dernière avec l'équipe de la CEI en 1992 à Albertville.
[24] Fetisov, qui évoluera quelques années plus tard en Ligue Nationale dira à ce propos "coach crazy", littéralement "coach fou", marquant bien son désaveu quant à ce choix stratégique plus qu'hasardeux.
[25] Cette tactique est néanmoins risquée car une contre-attaque est très souvent fatale à l'équipe qui prend le risque.
[26] Récemment retraité de la LNH à ce moment, Ken Dryden (1947-) avait aussi participé, avec Dionne, à la campagne de 1972 contre les Soviétiques.
[27] Alors qu'ils étaient menés 2 buts à 1 à la fin de la deuxième période. Le dernier match contre la Suède se soldera par un match nul.
[28] Il mènera aussi l'équipe de France de hockey à une honorable 11ème place lors des Jeux de 1998 qui se déroulaient à Nagano.

Le Tsar est tombé

Stade de Donetsk en Ukraine, 17h39, heure de Paris, un symbole vient de tomber. Un record du monde aussi, celui de Sergueï Bubka, l'un des plus grands perchistes de l'histoire, grand dominateur de sa discipline dans les années 80 et 90. Sa marque - 6.15 m - vient d'être effacée. Presque 21 ans jour pour jour après avoir avoir été établie [1]. Le Tsar, comme il est surnommé, est tombé de sa statue. Pas celle qui trône devant le stade de Donetsk, mais celle des tablettes de l'athlétisme mondial. Et pour que la boucle soit boulée, il faut ajouter que c'est dans ce stade que Bubka s'entraînait sous le regard bienveillant de Vitaly Petrov, sur un vieux sautoir. Le responsable de ce crime de lèse-majesté ? Le sauteur français Renaud Lavillenie - champion olympique aux derniers Jeux de Londres - qui depuis 2009 agite la discipline et impose sa marque sur tous les concours de la planète. Et Bubka, c'est un palmarès hors normes. En près de vingt années de carrière, il a remporté une médaille d'or olympique - en 1988 à Séoul -, six titres de champion du monde en plein air - entre 1983 et 1997 - et battu trente-cinq records du monde, que ce soit en plein air ou en salle [2]. A l'époque, le Soviétique battait le record du monde centimètre par centimètre afin de toucher la prime correspondante [3].

Depuis quelques années déjà, le maître lui prédisait le meilleur. Lavillenie pouvait le détrôner, aller plus haut que lui. Et c'était un compliment que Bubka s'était bien gardé de faire avant, à l'époque où d'autres perchistes s’échinaient à passer avec quelques difficultés la hauteur fatidique 6 m. Lavillenie, lui, a banalisé cette marque comme Bubka avant le faisait avant lui, insolent de facilité.

Depuis les championnats d'Europe par équipe de Leiria en 2009 [4], il tentait, dès que cela était possible, de battre l'ogre Bubka, mesurant à chaque fois les progrès qu'il avait faits et les efforts qui lui restaient à produire. En janvier dernier, il avait surpris son monde en établissant 6.08 m et échouant de peu dans sa tentative sur le record du monde. Il touchait enfin du doigt le rêve, atteignant des sommets jusqu'alors considérés comme inaccessibles par ceux qui voyaient la marque de Bubka rester encore des années voire des décennies, en tête des bilans de l'athlétisme.

Présent dans la salle, Bubka s'est réjoui de ce succès, souhaitant à Lavillenie d'aller encore plus haut. Chose que le Français s'apprêtait à faire en essayant de passer 6.21 m - excusez du peu - avant qu'une perche brisée l'en empêche. Ce n'est, très certainement, que partie remise, tant il avait de la marge lors de sa tentative réussie à 6.16 m. Rendez-vous donc début mars à Sopot, aux championnats du monde en salle, où il défendra son titre et aura certainement à cœur d'aller encore plus haut. Avant, qui sait, d'aller défier la marque de du roi Bubka en plein air, dès les premières lueurs du printemps.

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[1] Bubka avait établi ce record le 21 février 1993.
[2] L'Ukrainien possède encore le record du monde en plein air, établi en juillet 1994, avec 6.14 m.
[3] La raison de cela est que le régime communiste lui prenait - tout du moins en début de carrière - l'argent qu'il touchait lors des concours. Pour éviter la spoliation, il a ouvert des comptes à l'étranger et engrangeait de l'argent à chaque record du monde.
[4] A cette occasion, le Français avait passé pour la première fois les 6 m avec une marque à 6.01 m.

Un fast-food à Saigon

Samedi, la célèbre chaîne de restauration rapide McDonald's ouvrait son premier restaurant à Hô-Chi-Minh-Ville - anciennement Saigon -, la principale bille du Vietnam du sud [1]. Un symbole fort puisque cette ville était le fief des opposants aux communistes du Nord-Vietnam - le fameux Viet-Cong - pendant la guerre avec les Etats-Unis. Près de 40 ans après la chute de Saigon [2], la république socialiste a donc cédé aux appels du pied du diable capitaliste en acceptant, l'ouverture de l'une des vitrines les plus emblématiques du genre sur son sol. Toutes proportions gardées, l'implantation de McDonnald's dans ce pays, rappelle une scène similaire, quand en 1990, l'entreprise avait ouvert un restaurant à Moscou.

L'observateur attentif peut y voir la réussite du modèle capitaliste, pourtant tant décrié de nos jours en occident. En effet, même si le Vietnam est encore gouverné aujourd'hui par un parti unique et corrompu - le parti communiste vietnamien - qui piétine allègrement les libertés fondamentales et réprime les opposant politiques, on peut noter que les dirigeants ont entamé, voici plus d'une vingtaine d'années, la mutation économique du pays. Les réformes menées - connues sous le nom de Đổi mới, que l'on peut traduire en français par "renouveau" - ont encouragé la création d'entreprises privées ainsi que la venue de capitaux étrangers [3]. Les résultat ne se firent pas attendre : dès la fin des années 90, la croissance économique battait des records et la pauvreté avait diminué de moitié. Une vraie réussite, qui provenait de la libéralisation de l'économie et de l'introduction du libre-marché. Le point culminant de cette transition a abouti à l'admission du pays au sein de l'OMC en 2007. Depuis cette date, le revenu annuel moyen par habitant a augmenté de 50% pour atteindre les 1550 dollars.

Cette amélioration du niveau de vie de la population se matérialise par l'apparition d'une classe moyenne toujours plus nombreuse, ayant réussi socialement et avec l'argent à dépenser. Une manne financière que les entreprises étrangères ont bien identifié. Reste que les modalités d'implantation dépendent grandement de l'humeur du gouvernement vietnamien. Ce dernier n'a pas l'intention de laisser agir ces structures comme bon leur semblent et tient à contrôler leur activité par l'intermédiaire de joint-venture. Une manière pour lui de récupérer une partie de la richesse générée par la vente de burgers. Une preuve, s'il en est besoin, que le temps du dirigisme économique, l'un des piliers du communisme, est loin d'être révolu.

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[1] L'information, relayée par le journal Le Figaro est disponible à ce lien.
[2] Intervenue le 30 avril 1975. On se rappellera au passage des fameux boat-people qui en ont résulté.
[3] Similaire à la libéralisation de l'économie chinoise, impulsée par Deng Xioping à la fin des années 70.

Moscou 1980, un geste pour l'histoire

La dernière fois que la Russie avait accueilli les Jeux Olympiques, c'était en 1980, à Moscou. Et déjà à l'époque, cet événement avait engendré son lot de protestations envers le grand frère soviétique. Outre la problématique des droits de l'homme - bien connue depuis la parution du livre d'Alexandre Soljenitsyne, L'Archipel du Goulag - c'est l'engagement militaire en Afghanistan qui fit, cette fois, le plus débat en occident. La tergiversation ne dura pas bien longtemps puisque très vite les Etats-Unis annulèrent leur participation afin de dénoncer l'invasion soviétique. Dans la foulée, ce boycott s'étendit à plusieurs pays, tels le Canada ou l'Allemagne de l'Ouest. En pleine guerre froide, la politique venait, une fois de plus, de reprendre le dessus sur le sport.

D'autres, cependant, n'avaient pas le choix : il leur fallait participer à cette grande manifestation sportive, malgré des réticences, le plus souvent, cachées. Ce fut, par exemple le cas de la Pologne, un des satellites de l'Union soviétique. Parmi la délégation du pays, figure Władysław Kozakiewicz, un perchiste de grand talent. Le Polonais est d'ailleurs en forme puisqu'il venait d'établir, quelques semaines plus tôt, un nouveau record du monde de la discipline avec un saut à 5.72 m [1]. De l'avis des observateurs, il est l'un des favoris pour la médaille d'or.

Pendant le concours, la menace la plus forte vient d'un homme, le Soviétique Konstantin Volkov. Le public du stade Loujniki est tout acquis à sa cause et l'encourage de toutes ses forces. A chacun de ses essais, Kozakiewicz doit faire face aux nombreux sifflets des spectateurs et à une franche hostilité des officiels, qui souhaitent, tous deux, la victoire de Volkov. Malgré cette adversité affichée, Kozakiewicz, réussit à prendre la tête du concours avec un saut à 5.65 m, à son premier essai. Le jeune Volkov, de son côté, semble plus en difficulté puisqu'il ne franchit cette même barre qu'à sa troisième et dernière tentative. La tension est alors à son comble. Celui qui franchira la prochaine hauteur pourrait bien être le nouveau champion olympique. Nullement impressionné par le public, le Polonais poursuit sur sa lancée et efface 5.70 m, encore à son premier essai. Parvenu à ses limites, Volkov tente lui aussi cette barre mais y échoue par deux fois. Il décide alors de faire l'impasse, pour conserver une ultime tentative à 5.75 m. A nouveau, Kozakiewicz est le plus fort. Volkov est battu et partagera la médaille d'argent avec un autre Polonais Tadeusz Ślusarski, le champion olympique sortant. Le Polonais vient de battre les Soviétiques chez eux.

Profitant de son nouveau statut et alors qu'il est le dernier athlète encore dans le concours, Kozakiewicz décide de s'attaquer au record du monde et demande alors une barre à 5.78 m. Échouant une première fois, il réussit à la franchir au second essai [2]. Son exploit accompli, - et alors qu'il vient à peine d'atterrir sur le matelas au pied du sautoir -, il adresse au public moscovite un cinglant bras d'honneur, comme pour lui montrer que, même sans son soutien, il a réussi à triompher. Il était le plus fort ce jour-et il le fait savoir. Par ce geste, il défie aussi un pouvoir soviétique tout puissant et oppresseur et qui maintient depuis 35 ans son pays sous contrôle.

Les images de Kozakiewicz font le tour du monde, mais  sont soigneusement censurées par les services d'informations d'URSS et de Pologne. Les officiels soviétiques protestent pourtant vigoureusement contre l'attitude de athlète et demandent au CIO - le Comité International Olympique - que sa médaille lui soit retirée. Elle sera classée sans suite [3]. La Pologne, de son côté, nie en bloc, arguant que son perchiste a été victime d'un spasme musculaire... Quatre ans plus tard, il fuira en Allemagne de l'Ouest.

D'une certaine manière, Kozakiewicz deviendra le symbole de la résistance naissante en Pologne [4]. Son courage - parce qu'il en fallait tant le risque encouru était grand - n'est d'ailleurs pas sans rappeler celui d'un Tommie Smith [5], brandissant un poing ganté de noir, sur le podium du 200 m des Jeux de Mexico, douze années plus tôt, perpétuant ainsi une sorte de tradition. Un acte fort et subversif dans les deux cas, même si certains m'objecteront que celui du Polonais n'est peut-être pas aussi noble. Une question de point de vue. Je pense de mon côté qu'il ne manque pas de panache et a frappé les esprits de tous, tant et si bien qu'on s'en souvient encore aujourd'hui. Un geste pour l'histoire.

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[1] Ce record du monde fut battu dans la foulée par les Français Thierry Vigneron et Philippe Houvion (le fils de Maurice Houvion, connu pour avoir été l'entraîneur de Jean Galfione, champion olympique en 1996 à Atlanta). Au moment de la finale, le record est à 5.77 m.
[2] Il poussera son effort en tentant une barre à 5.82 m, sans succès.
[3] Kozakiewicz sera nommé athlète polonais de l'année 1980.
[4] On se rappelle qu'au même moment, Solidarność, le syndicat de Lech Wałęsa mène l'opposition face au gouvernement socialiste polonais.
[5] Immortalisé par le célèbre photographe Neil Leifer.

Le Québec, cet Eldorado

Trois années. C'est le temps que j'ai passé au Québec - et plus particulièrement à Montréal - avant de revenir, à la fin de l'année dernière, terminer ma thèse en France. Et quand les gens me demandent ce que je veux faire après, je leur dis, sans hésitation aucune, que je souhaite ardemment repartir là-bas pour y travailler.

A l'époque où je suis parti au cours de l'été 2010, j'avais déjà remarqué que le nombre de Français qui souhaitaient venir pour leur études ou pour trouver un travail était déjà élevé. Mais ce n'était rien en comparaison de la situation trois années plus tard [1] . Au moment de mon retour, j'avais déjà entendu que les fameux PVT - Permis de Vacances et de Travail - s'arrachaient comme des petits pains et que certains prenaient le risque de rester après l'expiration de celui-ci, devenant par conséquent des clandestins. Ces titres de séjour, d'une durée d'un an, n'offrent pas beaucoup de possibilités, mais vous permettent - assez facilement - de décrocher un job. Les emplois plus qualifiants - comme par exemple des postes d'ingénieurs chez Bombardier, Pratt et Whitney, Hydro Québec ou encore Rolls Royce [2]- nécessitent l'obtention du statut de résidence permanente, une procédure longue et onéreuse.

Et encore, certains professions ont des difficultés à s'implanter sur le sol québécois, du fait de difficultés de reconnaissance de diplômes. Ainsi, j'ai souvenir d'avoir discuté avec un médecin qui me disait qu'il avait préféré partir pour les Etats-Unis, car les contraintes pour s'installer au Québec étaient trop grandes. Pour assouplir la situation, le Québec et la France ont signé des ARM - Accord de Reconnaissance Mutuelle - qui permettent sous certaines conditions d'établir des équivalences de diplômes et de prendre en compte l'expérience professionnelle déjà acquise dans le pays d'origine. Le dernier ARM en date a été signé hier par Jean-François Lisée, le ministre québécois des Relations internationales, et Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée chargée des Français de l'étranger et concerne les infirmiers ou infirmières, dont la profession sera mieux reconnue et donc mieux rémunérée [3].

A cet occasion, notre ministre a déclaré que cet accord était "gagnant-gagnant", en d'autres termes que cela faciliterait à la fois le départ des Français qui le souhaitent vers la Belle Province et la venue de Québécois vers la France. De son côté, M. Lisée s'est également réjoui de ce protocole, anticipant très justement, le départ en retraite des baby-boomers dans les années à venir.

Loin de moi l'idée de critiquer ces ententes bilatérales, qui facilitent grandement les mouvements migratoires, mais je ne peux m'empêcher de penser que ces échanges ne se feront que dans le seul sens France-Québec pour notre plus grand malheur puisque le manque de personnel médical se fait déjà sentir en France. Qui plus est, je n'ai pas vraiment l'impression que les Québécois, que je connais ou que j'ai rencontrés, aient envie de venir en France, surtout depuis qu'ils connaissent le marasme économique que nous traversons. Cela ne les enthousiasme guère. Là-bas, notre réputation nous précède : nous sommes désespérés quand eux sont optimistes et vont de l'avant [4]. C'est peut-être pour cela que ce bout de Canada attire tant les jeunes Français, déçus par la vie en France et rêvant de quelque chose de meilleur. L'Eldorado à sept heures d'avion de Paris.

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[1] Je parle ici de mon propre domaine.
[2] A Montréal, pour une population de 1.7 millions d'habitants - un peu plus le double si on prend en compte la grande agglomération - le ministère des Affaires étrangères français estime qu'il y a environ 100 000 Français d'installés. Sur les dix dernières années, environ 30 000 sont venus s'installer Québec, sans compter les étudiants ou les PVTistes qui sont là pour des durées limitées.
[3] Information relayée par Le Nouvel Observateur et disponible à ce lien.
[4] Même si la région a aussi ses problèmes.

L'Ukraine : au cœur du projet Poutine

Depuis maintenant quelques semaines, la population ukrainienne s'agite dans tous les sens, protestant contre la politique de son président depuis 2010, Viktor Ianoukovitch, un proche de Vladimir Poutine, l'homme fort de la Russie. A quelques jours de l'ouverture de Jeux Olympiques de Sotchi, il semble que la stratégie du président russe commence à se dévoiler, avec pour objectif affiché de conserver l'Ukraine dans la sphère d'influence de Moscou. Le pays constitue, en effet, un espace stratégique et économique de premier plan et serait une prise d'importance dans le bras de fer idéologique qui oppose la Russie à l'Union européenne. On peut d'ailleurs penser que Poutine usera de tous les stratagèmes possibles pour arriver à ses fins. Mais revenons tout d'abord à la source de ce conflit politique et économique.

Un lent travail de sape


En 2010, l'Ukraine et l'Union européenne entament des négociations sur les modalités d'un accord de libre-échange. Ultimement, l'objectif affiché est l'entrée du pays au sein l'union. Cependant, malgré  les efforts des deux parties, les pourparlers restent bloqués à cause du regain de tension entre l'Ukraine et les pays occidentaux. Pour l'Europe aucune signature ne sera possible tant que le régime de Kiev n’entérinera pas certaines dispositions, à savoir le respect des droits fondamentaux des citoyens, une justice indépendante de l'exécutif et, surtout, la fin des persécutions des opposants politiques du président Ianoukovitch, parmi lesquels figurent l'ancienne première ministre et candidate aux présidentielles, Ioulia Tymochenko. Le processus semble figé jusqu'à ce qu'en avril 2013, Ianoukovitch décide, en signe d'ouverture, de faire libérer Iouri Loutsenko, ancien ministre de l'intérieur et opposant d'importance au régime pro-russe.

En novembre dernier, tout s'accélère encore et l'accord est en bonne voie d'être signé. Cependant, Ianoukovitch donne des signes d'inquiétude aux représentants de l'Union européenne après une rencontre avec Vladimir Poutine. Ces soupçons sont confirmés quelques jours plus tard quand le parlement ukrainien refuse l’extradition de Ioulia Tymochenko, affaiblie et malade, vers l'Allemagne afin qu'elle y soit soignée. Sa libération constituait le dernier obstacle avant la signature. Dans la foulée, et comme un ultime revirement dans cette affaire, le président ukrainien décide de rompre les négociations avec l'Union européenne : l'accord commercial est définitivement enterré. Dans le même temps, Viktor Ianoukovitch annonce vouloir "relancer un dialogue actif avec Moscou". Cette déclaration vient confirmer celle du parlement, intervenue plus tôt.

La réaction de l'Europe à cette rupture unilatérale ne se fait pas attendre. Herman von Rompuy, président du Conseil européen et José Manuel Barroso, président de la Commission européenne [1], ont critiqué l'attitude de Kiev et accusé Moscou d'être responsable de cet échec, par l'exercice de pressions à l'encontre du président Ianoukovitch. Pour eux, le temps de la guerre froide, et plus précisément de l'ère Brejnev était de retour [2], posant ainsi la question de l'indépendance du pouvoir ukrainien vis-à-vis de Moscou. Pourtant ces déclarations des responsables européens sont restées lettre morte et aucun pays membre ne les a relayées.

En Ukraine, la décision de Viktor Ianoukovitch a été le déclencheur de grandes manifestations populaires dans les rues de Kiev. Encouragées par l'opposition, elles sont parfois vivement réprimées par les autorités du pays, ce qui provoque la réaction de certains dirigeants étrangers. Les manifestants trouvent rapidement deux leaders à leur mouvement : Arséni Iatseniouk, un ancien ministre et les frères Wladimir et Vitali Klitschko, champions du monde de boxe [3]. Devant cette situation, l'Union européenne fixe un ultimatum au gouvernement ukrainien, lui faisait miroiter 20 milliards d'euros d'aides promises par lé défunt accord de libre-échange.

Poutine à la rescousse


Pourtant, l'Ukraine a désespéramment besoin de cet argent et la Russie comme l'Union européenne le savent. D'une part parce que des crédits - à hauteur de 7 milliards de dollars arrivent à échéance en 2014 - et parce qu'il lui reste à payer les factures de gaz à la Russie - pour un total de 17 milliards de dollars - et d'autre part parce que ces réserves de change sont en chute libre et sa monnaie faible. Preuve de cet affolement, l'agence de notation Fitch note la dette ukrainienne B-, à égalité avec le Venezuela ou l'Argentine. Pour Moody's, sa concurrente, le risque de défaut de l'Ukraine est, à ce moment-là, le plus élevé de la planète. Voyant l'état du pays, les banques refusent de lui prêter de quoi continuer à fonctionner. Et réformer paraît impossible étant donné les manifestations qui se succèdent.

Le salut de l’Ukraine pourrait venir du FMI, même si un tel accord ne rencontre pas les faveurs de l'exécutif [4]. A la place, Ianoukovitch préfère accepter la main tendue par Moscou : 15 milliards de dollars d'argent frais [5], auxquels viennent s'ajouter la baisse du prix du gaz - dont l'Ukraine est très consommatrice - de 33% [6]. En échange, l'Ukraine, va acheter du rouble. La Russie vient de sauver le pays de la banqueroute. Le premier ministre Mykola Azarov se réjouira, dès le lendemain, de cet accord intervenu à la dernière minute, fustigeant au passage ses prédécesseurs, responsable selon lui de saigner "l'économie depuis trois ans et demi" [7].

Par cet échange de bon procédés, Vladimir Poutine entend mettre un coup d'accélérateur à l'Union eurasiatique qui doit être officiellement lancée le 1er janvier 2015. Pour l'instant, seuls la Russie, le Belarus et le Kazakhstan en sont membres [8], et à n'en pas douter, Moscou aimerait que Kiev rejoigne sans tarder cette nouvelle association de coopération politique et économique. A terme l'objectif affiché est de créer, selon les termes de Vladimir Poutine lui-même, une union basée sur les "meilleures valeurs de l'URSS". L'observateur attentif y verra autre chose : la volonté farouche du dirigeant russe de voir renaître de ces cendres l'Empire Russe, une vaste zone géographique contrôlée depuis Moscou et qui dominerait l'Asie et l'Europe de l'est. L'aide de Poutine au pouvoir de Viktor Ianoukovitch n'est donc certainement pas désintéressée.

Cette stratégie prend tout son sens quand on sait que l'Ukraine dispose de richesses qui intéressent la Russie. D'une part, le pays dispose de terres très fertiles - le tchernoziom ou terre noire qui recouvre une bonne moitié de la surface cultivable est un des sols meilleurs sols exitant  - qui ont fait sa réputation du temps de l'URSS dont elle était, selon l'expression consacrée, le "grenier à blé". Il est à noter que ce secteur a été fortement secoué par la chute de l'empire soviétique : on peut penser qu'il est largement sous-exploité et pourrait, en cas de restructuration et d'investissements d'importance, devenir une des pierres angulaires de l'agriculture de la future union. D'autre part, le sous-sol est riche en fer et en minerais uranifères, autant de ressources dont la Russie voudrait s'assurer le contrôle. On peut aussi noter que le secteur de l'armement - un héritage de l'URSS - est particulièrement prospère, ce qui bien évidemment rehausse l'intérêt des militaires moscovites. Enfin, l'Ukraine occupe un emplacement géographique crucial pour la Russie : plusieurs ports - Odessa ou Sébastopol par exemple - donnent accès à la Mer Noire et donc à la Méditerranée.

Reprendre le contrôle


L'accord signé entre Russes et Ukrainiens ne fait pas l'unanimité parmi la population et les manifestations se poursuivent. Cette situation ne fait les affaires de Moscou, pour qui il est urgent que le président Ianoukovitch reprenne le pays en main. Le 16 janvier, une première décision est prise dans ce sens quand la Rada, le parlement ukrainien, fait voter un durcissement des lois encadrant les manifestations : leurs participants risquent désormais la prison. C'est la goutte d'eau de trop. Le mouvement populaire se radicalise et la situation se dégrade rapidement. Les pays européens et les Etats-Unis commencent à s'élever contre ces événements, qui ne sont pas sans rappeler ceux de la Révolution Orange en 2004.

Acculé, le régime ukrainien choisit de changer son approche en engageant des négociations avec l'opposition : une loi d'amnistie des manifestants est envisagée tandis que le durcissement voté est abrogé et que le premier ministre démissionne. Ces concessions du pouvoir en place sont vus comme un premier pas vers la sortie de la crise. Au même moment, alors qu'il est en visite à Bruxelles pour rencontrer les responsables européens, Vladimir Poutine profite de la tribune qui lui est offerte pour dénoncer l'ingérence occidentale dans les affaires de l'Ukraine [9]. Tacitement, donc, le président russe continue de soutenir le régime en place. Néanmoins, il affirme qu'il ne reviendrait pas sur l'accord économique - les fameux 15 milliards - si l'opposition arrivait au pouvoir, précisant, tout de même, que la Russie "veut être sûre de récupérer son argent". Autrement dit, si un gouvernement pro-européen venait prendre la tête du pays, Moscou se chargerait de lui rappeler les engagements pris par son prédécesseur, maintenant la menace de l'épée de Damoclès du gaz au-dessus de sa tête. La main-mise de Moscou sur le pays se raffermit.

Un futur incertain ?


A l'heure où j'écris ces lignes, la sortie de crise n'est pas en vue et régulièrement, de nouvelles déclarations de part et d'autre radicalisent la situation. Aux dernières nouvelles, les eurodéputés envisageraient des sanctions économiques à l'encontre de l'Ukraine. Alors que les jeux olympiques débutent demain vendredi, on peut penser que Vladimir Poutine veut attendre la fin de l'événement avant de passer à nouveau à l'offensive sur le plan diplomatique [10]. Hors de question de renouveler l'épisode géorgien de 2008, qui rappelons-le, avait mis mal à l'aise les chefs d'état étrangers quelques jours avant l'ouverture des jeux Olympiques de Pékin. Le président russe sait que les prochaines semaines, voire les prochains mois seront décisifs pour l'avenir de l'Ukraine et son projet d'union : les décisions qui seront prises pendant ce laps de temps affecteront très certainement le résultat électoral de la prochaine présidentielle prévue dans un an.

Si les desseins de Moscou se réalisent, il en résultera un arrimage de l'Ukraine à la Russie qu'il sera difficile de défaire. Quoi qu'il en soit, Vladimir Poutine dont le mandat court jusqu'en 2018 [11], mettra tout en oeuvre pour que son rêve de renaissance de l'empire soviétique devienne un jour une réalité.

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[1] Tous les deux étaient réunis à Vilnius où l'accord devait être signé.
[2] On se rappellera des fameux Accords d'Helsinki, signés en 1975.
[3] Catégorie poids lourd.
[4] Il supposerait que les tarifs du gaz augmentent et que la monnaie soit dévaluée ce qui serait très impopulaire.
[5] Via un achat d'obligations émises par l'Ukraine.
[6] On se souvient des épisodes de blocage du gaz par les Russes en plein hiver à l'époque où Viktor Iouchtchenko - pro-européen - était au pouvoir.
[7] Déclaration disponible à ce lien.
[8] L'Arménie, le Kirghizstan et le Tajikistan sont candidats.
[9] Un proche conseiller de Vladimir Poutine ira même jusqu'à agiter, quelques jours plus tard, la menace d'un coup d'état, fomenté par les Etats-Unis qui, selon lui, conseilleraient et armeraient les "rebelles" ukrainiens.
[10] On remarquera au passage que le président russe a tenté de détendre les relations avec l'occident en libérant  l'ancien oligarque Mikhaïl Khodorkovski et en proposant l'amnistie des Pussy Riots.
[11] Le mandat du président étant désormais de six ans, il y a fort à parier pour que Poutine décide de se présenter à nouveau en 2018.

Good Bye Lenin

Depuis quelques temps déjà, l'Ukraine est agitée par des soubresauts, une révolte contre le gouvernement du président depuis 2010 Viktor Ianoukovytch, un proche de Moscou. Symboliquement, les manifestants de cet ancien pays de l'URSS déboulonnent périodiquement des statues des idoles communistes encore debout. La dernière en date est une statue de Lénine, le chef historique de la révolution bolchevique d'octobre 1917, qu'ils ont replacée par une toilette [1]. Tout comme d'autres avant eux, les Ukrainiens cherchent par ce geste à faire comprendre que la période de domination soviético-communiste touche à sa fin. Du passé faisons table rase.

Au même moment, la France semble aller à contre-courant de cet élan d’émancipation démocratique, qui souhaite mettre à l'index ces vieilles théories. A cette occasion, on se souvient que le défunt maire socialiste de Montpellier, Georges Frèche avait lancé l'idée d'ériger des statues à la gloire, je cite, "des grands hommes du XXème siècle". Dans ce panthéon improvisé, les touristes pouvaient contempler les effigies de de Gaulle, Churchill ou Mandela en compagnie de celles moins fréquentables de Mao Zedong ou de Lénine. Critiqué à l'époque pour ce choix, il l'avait néanmoins justifié, déclarant : "Lénine, ce n’est pas un dictateur sanglant. C’est l’homme qui a changé la face du monde au XXe siècle. (...) Chez Lénine, il y a deux moments lumineux : la révolution d'octobre, ça, c'est Lénine qui la personnifie, même s'il n'était pas seul. Et puis il y a la décolonisation : car 1917 a changé la face du monde. Sans 1917, il n’y aurait pas eu la décolonisation de l’Afrique, de l’Inde, de la Chine et, de façon générale, du monde dit en voie de développement" [2,3]. Ainsi donc, Lénine était un saint homme qui a fait le bien pour le peuple russe. Étrange que cela ne soit pas mentionné dans les livres d'histoire. Un oubli sans doute.

Quelques temps plus tard, M. Frèche reconnaissait d'ailleurs lui-même avoir une vision assez sélective de l'histoire : "Les gens ont du mal à comprendre que lorsqu’on glorifie un homme, on glorifie les moments les plus importants (...) Mao, il est grand pour vingt années, pour la période 1929-1949, après c’est fini ! (...) La révolution culturelle, c'est un malheur pour la Chine, mais ça, l'histoire l'oubliera. L'histoire ne se souviendra que du Mao qui a rendu sa dignité à la Chine. (...) Ériger une statue, ça n’empêche pas d’étudier l’histoire. Ça devrait même inciter à s’intéresser à l’histoire. (...) L’histoire, elle n’est pas chargée de faire la morale. Les gens doivent être assez intelligents pour se faire leur propre jugement" [2,3]. On garde les bons côtés, on élimine les mauvais car ils ne nous plaisent pas et déversent notre cause. L'histoire observée par le petit bout de la lorgnette. Dangereux et regrettable.

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[1] Montage photo du média d'infos Radio-Canada que vous pouvez voir à ce lien.
[2] Citations relayées par La Gazette de Montpellier et disponibles à ce lien.
[3] Compléments de ces citations par le journal Le Monde, disponibles à ce lien.

Musique : l'exception culturelle frappe encore

J'évoquais la semaine dernière la consécration du groupe Daft Punk à la cérémonie des Grammy Awards. Pourtant le secteur musical s'affaiblit d'année en année depuis plus d'une décennie maintenant : les ventes de disques s'effondrent et rien ne parait pouvoir enrayer cette tendance, y compris les succès de Stromae [1].

Partant de ce constat, la ministre de la culture Aurélie Filippetti - qui, je le rappelle, essayait la semaine dernière de récupérer quelques feuilles de la couronne de lauriers que venait de recevoir Daft Punk - ne pouvait décemment pas rester sans rien faire. Cédant aux appels du pied des maisons de disques, la ministre a fini par sortir de sa réserve, afin de proposer l'ultime solution qui résoudra le problème une bonne fois pour toutes. Elle et son cabinet ont donc phosphoré pour dénicher de nouveaux modes de financement public, destinés à soutenir l'industrie musical. Plus qu'une idée, cette option est en passe de devenir une réalité.

Dans un premier temps, les éminences grises de la rue de Valois [2] avaient pensé réorienter une partie de l'argent public du cinéma ou de la télévision au secteur musical en crise, mais étant donné que ces deux branches ne sont pas, non plus, en bonne santé, cette proposition est retournée dans les cartons du ministère. La deuxième solution, portée par Mme Filippetti [3] en fin d'année dernière, qui consistait à créer une nouvelle taxe sur les terminaux connectés - box et autres smartphones - avait, on s'en souvient, été recalée dans un contexte fiscal plus que tendu étant donné le nombre de nouveaux impôts que le gouvernement venait déjà d'instaurer pour boucler - difficilement - son budget [4]. Il fallait donc trouver d'urgence une idée pour contenter tout le monde.

Hier donc, alors qu'elle donnait une discours au Midem devant les principaux représentants de l'industrie musicale, la ministre a proposé cette fois-ci d'aider le secteur en "élargissant l'assiette des taxes déjà existantes". Lumineux, brillant même. Plus fort encore, Aurélie Filippetti a ensuite ajouté qu'une telle mesure "n'est pas du tout contradictoire avec l'idée générale d'une baisse de la pression fiscale. Ce sont des taxes affectées, ce ne sont pas de nouveaux impôts, ça fait partie de l'exception culturelle que le président de la République a défendue à Bruxelles" [5]. Cherchez l'erreur : on élargit l'assiette, mais on n'augmente pas la pression fiscale.

L'exception culturelle française. Voilà le mot est lâché. Pour justifier toujours plus de prélèvements pour financer la culture, notre ministre vient tout de suite s'abriter derrière ce bouclier. C'est tellement pratique. Si encore cette exception tenait à peu près debout toute seule, on pourrait se dire que cela en vaut le coup. Mais elle est tellement moribonde qu'ajouter une perfusion d'argent public supplémentaire ne fera que retarder l'inévitable, à savoir une nécessaire restructuration de ce secteur, qui représente tout de même plus de 3% du PIB du pays [6],  et de son mode de financement.

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[1] D'après les chiffres publiés aujourd'hui et relayées par le journal Le Parisien. Ils sont disponibles à ce lien.
[2] Le siège du ministère de la culture et de la communication.
[3] Piochée dans le rapport de Pierre Lescure.
[4] Information du journal Le Monde disponible à ce lien.
[5] D'après une information du journal Les Echos disponible à ce lien.
[6] D'après les chiffres officiels.