Vers des ministères régaliens

L'idée revient périodiquement, notamment quand les résultats d'un gouvernement se font attendre et que les sondages sur l'action du pouvoir atteignent des plus bas inquiétants. La population gronde et demande du changement. Autrement dit, elle réclame des têtes nouvelles, susceptibles de mettre en place une politique plus efficace et d'améliorer la situation. Un remaniement ministériel - voire dans des cas plus rares une dissolution de l'Assemblée Nationale - intervient alors. Par cette décision, plus symbolique qu'autre chose, le président entend prendre en compte les griefs des électeurs, qui très souvent viennent de le sanctionner lors d'un scrutin électoral intermédiaire [1].

Peu avant cet échec, la majorité en place, appuyée par les ténors des partis dont elle est issue, avait préparé le terrain, prônant le retour à la simplicité et défendant la nomination d'une équipe gouvernementale resserrée autour de quelques personnalités emblématiques. Fini donc la multiplication des ministres, ministres délégués et autres secrétaires d'état, qui ont été nommés - en trop grand nombre - dans la foulée de l'euphorie d'une victoire électorale, déjà lointaine. Dans le même temps, quelques proches du président jouent des coudes pour se voir confier l'un des précieux porte-feuilles et qui leur permettra de prendre pied au niveau national pour les futures échéances à venir.

Dans une étude récente, le député René Dosière estimait que la suppression d'un de ces ministères pouvait engendrer environ 10 millions d'euros d'économies. Et par suppression, on entend ici la seule disparition du cabinet et des dépenses afférentes, ses compétences étant réattribuées à un autre ministère [2]. Une partie du personnel est également réaffectée à d'autres postes et on peut imaginer d'ici le gigantesque capharnaüm que cela doit être de les déménager à la faveur de ces petits arrangements entre amis.

Instabilité du système


Actuellement, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault compte trente-sept membres [3]. Outre les postes traditionnels des affaires étrangères, de l'intérieur, de la défense ou encore de l'économie, on trouve plusieurs ministères dont on peut raisonnablement questionner l'utilité dans le débat public. A-t-on vraiment besoin d'un ministre délégué à "la réussite éducative" ou à "l’agroalimentaire" ? Même si on peut considérer que ces sujets sont importants, était-il à ce point nécessaire de les institutionnaliser de la sorte ? Et ces exemples ne sont pas isolés. Il semble qu'à peine portée au pouvoir, une majorité se croit obligée - pour prouver à la population qu'elle agit et est indispensable - de créer de nouveaux ministères, qui selon elle, apporteront une réponse plus efficace aux problèmes des Français. Ainsi se rappelle-t-on qu'à son arrivée à l'Elysée, François Mitterrand avait inventé un "ministère du temps libre" [4] pour s'occuper des loisirs des Français.

Le cynisme, qui me caractérise, me fait plutôt dire qu'il s'agit avant tout d'occuper le terrain médiatique. A la vérité, on ne tire aucun bénéfice à alourdir un peu plus le monument national qu'est devenu notre mille-feuilles administratif. On ne fait que compliquer ce qui l'est déjà.

Parallèlement à cela, les périmètres des ministères ne cessent d'être redécoupées suivant l'humeur du président et des privilèges qu'il entend accorder à tel ou tel proche. On constate dès lors que des attributions changent de main à chaque remaniement, et qu'il devient difficile pour le commun des Français de savoir, au bout de ce jeu de chaises musicales, qui s'occupe de certains dossiers [5]. Les membres les plus influents de l'entourage du président se retrouvent même bombardés à la tête de "super-ministères", selon la formule consacrée, avec des prérogatives tellement larges, qu'on se demande comment ils peuvent gérer tout les sujets, étant obligés de jongler entre plusieurs à la fois, ce qui résulte en leur connaissance partielle.

Fixer les choses une fois pour toutes


De ce point de vue, notre pays aurait beaucoup à apprendre de ce qui se fait en Allemagne ou même aux Etats-Unis, où le nombre de ministères reste généralement stable tout comme le périmètre de chacun d'entre eux. Le système d'organisation décentralisée permet, dans ces deux cas, de déléguer plusieurs missions aux collectivités territoriales, ce qui allège d'autant celles de l'état. Au contraire, le type d'administration pratiqué en France, par son centralisme, directement hérité de l'Ancien Régime, devient étouffant et à trop vouloir contrôler de sujets, l'état en oublie l'essentiel et provoque des catastrophes. On pense, par exemple, au morcellement du système éducatif, dans lequel l'état, les régions, les départements et les villes se partagent la gestion des différents niveaux, avec les résultats que l'on connait.

Comme disait Ronald Reagan, "ne demandez pas à l’État de résoudre votre problème, car votre problème c'est l’État". De fait, l'état gagnerait à desserrer l'étreinte qu'il impose à la société française et à se désengager de certains sujets. Au final, les individus finiraient par trouver des solutions aux problèmes qui se posent à eux. L'administration centrale pourrait alors juste se contenter de donner quelques grandes orientations générales et se concentrer sur les dossiers régaliens que sont la justice, la défense, les affaires étrangères ou encore la sécurité intérieure. Ce faisant, il devient de plus en plus urgent et opportun de graver dans la loi ces domaines où l'état peut intervenir et limiter ainsi son action à eux seuls, laissant aux individus, librement associés, de s'occuper du reste.

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[1] Comme les prochaines municipales par exemple.
[2] Dosière est un spécialiste du sujet. Une interview de lui a été réalisée voici quelques jours par le journal Le Figaro et est disponible à ce lien.
[3] D'après les informations officielles en mars 2014.
[4] Le constructiviste Léo Lagrange (1900-1940) l'avait imaginé dès les années 30.
[5] On remarquera à cette occasion que des noms pompeux son Les noms s'allongent ou se raccourcissent 

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